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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

vertige. Un calculateur du siècle dernier avait découvert que le bonheur du genre humain ne lui coûterait que 500 livres. L’honnête homme déclara donc par testament que ladite somme de 500 liv., prélevée sur sa succession, devait être divisée en cinq portions égales, et placées à intérêts composés. Le premier cinquième devait produire au bout de cent ans 13,100 livres, et être donné à l’auteur du meilleur mémoire sur les placemens à intérêts. La seconde somme de 100 livres, montant après deux siècles à 1,700,000 livres, était destinée à l’encouragement des beaux ouvrages et des actions vertueuses. Avec plus de 25 millions obtenus au bout de trois siècles pour le troisième lot, on devait doter des établissemens de crédit. La quatrième portion, élevée à 30 milliards à la fin du quatrième siècle devait servir à bâtir une centaine de villes, où la moitié de la population française eût trouvé abri. Enfin, avec le produit du dernier cinquième, montant au bout de cinq cents ans à quatre mille milliards, on devait éteindre les dettes publiques de la France et de l’Angleterre, fonder un revenu annuel qui, partagé entre les diverses puissances de l’Europe, eût affranchi les peuples des impôts les plus onéreux, élever gratuitement tous les enfans jusqu’à l’âge de trois ans, enrichir les savans, doter les filles sages, soulager les pauvres, etc. Quelques monceaux d’or sans emploi étaient laissés à la discrétion des exécuteurs testamentaires !

Ce ridicule enthousiasme découvre le vice des théories d’accumulation fondées sur la vertu de l’intérêt composé. Les nombres abstraits, que rien ne gêne sur le papier, parviennent, il est vrai, à des grandeurs indéfinies ; mais les capitaux effectifs ont à subir des fluctuations qui dérangent tous les calculs. Le seul fait de leur multiplication suffit pour les déprécier. N’est-il pas évident qu’un fonds de placement, augmentant sans cesse à mesure que les besoins d’emprunts diminuent, languira bientôt faute d’un emploi profitable.

Appliquons ce raisonnement aux fonds d’amortissement de rentes. En théorie, une dotation de 1 pour 100 sur le capital dû par l’état, étant employée au rachat de la dette, et grossie annuellement des intérêts du capital racheté, suffit pour éteindre en trente-sept ans une rente à 5, en quarante-un ans une rente à 4, en quarante-quatre ans une rente à 3 pour 100. On demande donc annuellement aux contribuables français, en sus des 195 millions absorbés pour le solde des annuités, plus de 44 millions qui vont se capitaliser dans la caisse d’amortissement, avec les intérêts des rentes rachetées journellement sur la place. Depuis 1816, un milliard environ a été versé à cet effet, et par la progression des intérêts a produit le rachat de 71 millions de rentes, dont plus de 48 ont été rayés du grand-livre, et dont l’excédant continue d’être soldé par le trésor à l’établissement qui demeure son créancier par une fiction légale.

Ce résultat brillant n’est-il pas une illusion ? Ce n’est pas seulement un milliard que vous avez demandé aux contribuables : c’est encore la productivité de ce milliard, les intérêts qu’il eût engendrés dans leurs mains. La surcharge de l’impôt et les intérêts perdus balancent à peu près pour eux le capital amorti : il y a transformation, déplacement, et non pas bénéfice réel. L’amor-