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SITUATION FINANCIÈRE DE LA FRANCE.

servant, autant que possible, leur caractère de stabilité. Si une somme de 100 millions en espèces métalliques forme une réserve suffisante pour l’émission d’une somme triple en billets, et procure ainsi les bénéfices d’un roulement de 400 millions, est-ce qu’une valeur de 100 millions en fonds de terre ne fournirait pas une base aussi solide pour une opération analogue ? L’état, en se réservant la réalisation d’une pareille idée, n’y trouverait-il pas des ressources assez abondantes pour combler l’abîme de la dette ? Ce raisonnement, qui a engendré déjà plusieurs utopies financières, vient d’être repris avec habileté par M. Auguste Cieszkowski, docteur en philosophie, dans un traité qui a pour titre : Du Crédit et de la Circulation[1]. Nous négligeons à regret une excellente analyse de la nature du crédit et de son développement pour toucher les seuls points en contact avec le sujet que nous essayons d’éclairer.

L’impôt foncier, dit M. Cieszkowski, n’est pas une rente abstraite ; il répond, au contraire, à un capital en biens-fonds qui, quoique laissé entre les mains des particuliers, peut être considéré comme une propriété foncière de l’état, puisqu’il est le gage d’une hypothèque privilégiée dont l’impôt est le revenu annuel. L’impôt foncier, joint au domaine national et aux biens communaux, donne un revenu inscrit annuellement au budget pour une somme d’environ 400 millions, qui, en la supposant capitalisée à raison de 4 pour 100, fournirait plus de 10 milliards, le double du total des dettes publiques. On pourrait donc mobiliser, selon les besoins, ce fonds stagnant de 10 milliards en le faisant servir de garantie à des émissions d’effets de crédit remboursables à vue, et ayant cours légal comme le papier des banques privilégiées. M. Cieszkowski propose de créer des billets à rentes produisant dans les mains du porteur 1 cent. pour 100 fr. par jour, ou 3 fr. 65 cent. par an d’intérêt. Ces billets donnant ainsi un loyer comme les biens-fonds aux propriétaires, et fonctionnant à volonté dans les transactions comme monnaie légale, réuniraient les qualités diverses des deux natures de capitaux, et ce double avantage les ferait rechercher de préférence à tous les autres genres de numéraire. L’état, réglant les émissions sur les demandes, deviendrait dès-lors le régulateur suprême de la circulation, et le crédit, au lieu de porter profit à quelques compagnies privilégiées, serait le bénéfice d’une nation entière. La liquidation des dettes publiques ne rencontrerait plus de difficultés. Le rentier, remboursé en valeurs donnant intérêt, n’aurait pas l’inquiétude de chercher un placement nouveau, et on calculerait l’opération de telle sorte que le détenteur du 5 pour 100, payé en billets rapportant seulement 3,65, n’éprouvât pas une déperdition de revenu trop sensible. Il y aurait perte apparente dans ce remboursement au-dessus du pair nominal ; mais l’excédant des valeurs laissées à la disposition du gouvernement permettrait d’accomplir les grands travaux d’utilité publique sans tendre la main aux capitalistes, et il en résulterait une telle amélioration des revenus, qu’on pourrait retirer peu à peu les titres de créances et effacer enfin jusqu’aux traces du déficit antérieur.

  1. Un vol.  in-8o, chez Treuttel et Wurtz, rue de Lille, 17.