Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/508

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
504
REVUE DES DEUX MONDES.

Ce sont encore de fort jolies comédies que la Jalousie guérie par la jalousie, la Jalouse d’elle-même, le Châtiment de la crédulité, Il n’y a pire Sourd que celui qui ne veut pas entendre, Voilà ce qui s’appelle négocier, etc. Si nous nous bornons à les citer, c’est que nous craindrions de tomber dans la monotonie en continuant à analyser des compositions qui reproduisent, dans des proportions diverses, il est vrai, des beautés et des défauts déjà suffisamment indiqués pour caractériser Tirso de Molina.

Dans le Prétendant aux belles plumes et aux belles paroles, Tirso, par une exception bien rare, a traité un sujet sentimental. Deux hommes aspirent à la main d’une même femme. L’un des deux, magnifique en paroles, prodigue en protestations, mais profondément égoïste, n’en est pas moins préféré ; son rival, plus simple, tendre, dévoué, prêt à tout immoler pour l’objet de son amour, n’est payé de ses sacrifices que par des froideurs et des mépris. Cependant, après de longues épreuves, sa généreuse constance est enfin récompensée. Sur ce fond assez commun, semé d’incidens romanesques et invraisemblables, mais qui ne manquent pas d’intérêt, Tirso a brodé quelques-uns de ces dialogues animés, brillans, spirituels, qui donnent parfois tant de prix à ses drames les plus médiocrement conçus.

Les Épreuves de l’Amour et de l’Amitié appartiennent au même ordre d’idées. Tirso y a peint l’exaltation du sentiment tendre et désintéressé avec un éclat, un charme, un entraînement, qui prouvent que si sa nature le portait peu vers le beau idéal, il savait du moins le comprendre et même l’exprimer.

Nous nous arrêterons un peu davantage au Convié de pierre, autrement dit le Moqueur de Séville, non pas que cette pièce nous paraisse, tant s’en faut, se distinguer par un mérite plus éminent que les précédentes, mais parce que c’est le premier type de tous les Festins de pierre, de tous les Don Juan qui ont paru depuis sur les divers théâtres de l’Europe, après que Molière eut vulgarisé la terrible et bizarre légende empruntée par Tirso à une vieille tradition espagnole. On prétend que cette tradition n’est pas sans quelque fondement historique ; qu’il existait, en effet, à Séville, nous ne savons trop à quelle époque du moyen-âge, un don Juan Tenorio, appartenant à une grande famille de l’Andalousie, et tristement connu par ses désordres et ses excès de tout genre ; qu’il avait réellement tué un certain commandeur, après avoir enlevé sa fille ; que ce commandeur fut enterré dans le couvent de Saint-François où on lui éleva un monument orné de sa statue ; enfin que les moines de ce couvent, voulant mettre un terme aux débordemens de don Juan, dont, sans doute, ils avaient reçu quelque outrage, l’attirèrent dans un guet-apens où il trouva la mort, et répandirent le bruit qu’il avait été précipité dans les flammes infernales au moment où il insultait la statue du commandeur. Quoi qu’il en soit de ce fait, il est certain que la comédie de Tirso, véritable légende rimée où l’on ne retrouve que dans un degré assez peu éminent les brillantes qualités de ce poète, contient en germe tout le chef-d’œuvre de Molière, sauf les développemens admirables du caractère du héros, et l’incomparable scène de M. Di-