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TIRSO DE MOLINA.

tions, voilà tout ce qui restait d’eux ; encore les véritables auteurs d’un bon nombre de ces drames, de quelques-uns même des plus beaux, étaient-ils ignorés ou problématiques. Quant à leur date précise, aux circonstances dans lesquelles ils avaient été écrits, à la manière dont on les avait accueillis, aux discussions dont ils avaient pu être l’objet, on n’avait sur tous ces points aucune notion positive. La même obscurité enveloppait l’existence des poètes eux-mêmes : il en est plus d’un, à ne compter que les plus illustres et les plus dignes de l’être, dont on ne pouvait pas même fixer à une époque seulement approximative la naissance et la mort, dont on ne connaissait ni l’origine, ni le rang, rien en un mot que le nom imprimé en tête de leurs ouvrages. On peut affirmer sans exagération que l’histoire littéraire de la Grèce et de l’ancienne Rome nous est beaucoup plus familière que ne l’était dès-lors aux Espagnols celle de leur propre pays à une époque bien rapprochée pourtant, mais dont ils avaient abjuré toutes les traditions. Encore aujourd’hui, à vrai dire, cette histoire n’existe pas, les élémens n’en ont pas même été réunis. Aussi long-temps qu’une érudition patiente et intelligente ne les aura pas rassemblés, aussi long-temps surtout que des réimpressions correctes n’auront pas mis à la portée du public un choix fait avec goût et discernement dans cette masse effrayante de drames que contiennent ces vieilles collections confuses, informes, presque illisibles et cependant précieuses par leur rareté, il n’est guère possible d’espérer que cette belle littérature devienne pour l’Espagne, et surtout pour le reste de l’Europe, un objet d’études habituelles, et qu’elle obtienne des esprits capables de l’apprécier le tribut d’une admiration complètement éclairée.


Louis de Viel-Castel.