Peste ! mais on dit que le régent la jette en effet dans ce gouffre ?
Dites plutôt, monsieur le duc, que la France s’y jette d’elle-même et y entraîne le régent.
Et en votre ame et conscience, Bourset, vous ne pensez pas que la France et le régent fassent de compagnie la plus grande sottise du monde ?
Pourquoi essaierais-je de vous démontrer le contraire, mon cher duc ? Vous me paraissez incrédule ; mais c’est le propre des grandes vérités, de pouvoir être repoussées sans périr et de triompher malgré tout.
Je ne suis pas incrédule, mon cher, je suis curieux, incertain…
Mais vous n’êtes pas séduit ! Vous êtes sans ambition, vous, monsieur le duc ? Vous avez une moquerie spirituelle et philosophique pour cette soif de l’or dont les autres grands seigneurs se laissent voir indécemment dévorés !…
Si vous parlez vous-même en philosophe, Bourset, dites-moi donc pourquoi vous êtes dans les affaires ?
J’y suis pour le salut et l’honneur de la France, monsieur le duc. Le régent est un grand prince, qui veut préserver la nation d’une ruine imminente, et l’état de la tache ineffaçable d’une banqueroute. Il y parviendra, n’en doutez pas, car il a confié le sort de la France à la science d’hommes habiles, à Law, à d’Argenson, et ceux-ci ont appelé à leur aide les ressources et le dévouement des hommes riches, Samuel Bernard, Samuel Bourset et d’autres encore.
C’est un beau mouvement de votre part ; mais il est peut-être plus généreux que sage… et ceux que vous entraînez dans cette affaire, plus cupides que généreux, seront sans doute fort dégrisés s’ils en retirent de l’honneur au lieu d’argent.
Ils ont une garantie, monsieur le duc, c’est l’honneur et l’argent de ces mêmes banquiers qui font appel à leur confiance.
Mais enfin, mon ami, si vous êtes ruinés vous-mêmes ?…
Si nous y perdons la fortune et l’honneur, monsieur le duc, il ne nous restera que la vie, et le peuple en fureur nous la prendra, en revanche de ses dé-