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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

maisons régnantes ; on y conservait l’épée que le maréchal de Villars avait donnée au grand-père de Chamisso, âgé de quinze ans ; on y conservait aussi une autre épée à laquelle se rattachait un touchant souvenir de vaillance et de fidélité. Le 10 août, les deux frères aînés de Chamisso, Hippolyte et Charles, se trouvaient auprès de Louis XVI. Charles, blessé en défendant le roi, fut sauvé par un homme du peuple ; peu de temps après, il reçut une épée qu’avait portée l’infortuné monarque, et un billet ainsi conçu :

« Je recommande à mon frère M. de Chamisso, un de mes fidèles serviteurs ; il a plusieurs fois exposé sa vie pour moi.

« Louis. »


Telle fut l’origine de celui à qui sont consacrées ces pages : un manoir champenois, une famille antique et dévouée aux vieux souvenirs. Cette origine n’annonçait point la carrière qu’il devait parcourir. On ne se doutait pas à Boncourt, en 1781, que le gentilhomme qui venait d’y naître serait un poète et un prosateur allemand distingué, et traduirait dans la langue de Goethe les chansons de Béranger.

Chamisso, dans son enfance, était habituellement pensif et silencieux. Lui-même nous apprend qu’il avait déjà les goûts du naturaliste et les rêveries du poète. « J’observais les insectes, je cherchais de nouvelles plantes, je passais les nuits orageuses devant une fenêtre ouverte, à contempler et à réfléchir. » La révolution détruisit Boncourt et fit sortir de France Chamisso avec sa famille ; il avait alors neuf ans. À treize ans, il étudiait le dessin et la miniature à Wurtzbourg. À quinze ans, après avoir été quelque temps élève peintre à la manufacture royale de porcelaine de Berlin, il devint page de la reine de Prusse. À dix-sept ans, il entra au service : trois ans après (1801), il était lieutenant, et sa famille revenait en France. La première occupation du jeune officier prussien fut d’apprendre à fond l’allemand, car celui qui devait s’illustrer dans cette langue ne la savait pas encore très bien à l’âge de vingt ans. C’est ce que prouve un essai de tragédie en prose (le Comte de Comminge), qui remonte à cette époque. Mais en même temps on y sent, dit M. Hitzig, biographe et ami de Chamisso, « une certaine habileté d’expression et un entraînement involontaire vers le rhythme. La prose, sans que l’auteur s’en aperçoive, passe au vers. » Chamisso n’était pas encore écrivain ; il était déjà poète.

C’est qu’il était amoureux, amoureux d’une jeune veuve française