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POÈTES ET ROMANCIERS DE L’ALLEMAGNE.

sement. » Et le 15 juillet 1815, Chamisso partait de Berlin pour un voyage de trois années.

Il a publié la relation de ce voyage ; elle fut lue avec intérêt par le public, fortune bien rare pour un voyage scientifique. Le prince royal de Prusse, dans une aimable lettre qu’il écrivit à Chamisso, lui exprima tout le plaisir qu’avait fait son voyage dans d’augustes soirées. C’est que l’inspiration vive et originale du poète savait colorer les recherches du naturaliste. L’humeur individuelle de l’auteur donnait un tour piquant au récit toujours un peu monotone d’un voyage autour du monde, c’est-à-dire d’une longue et ennuyeuse navigation dans laquelle on touche à quelques points lointains du globe. Il y mêlait des peintures animées de la vie maritime, des anecdotes et des souvenirs.

« L’existence à bord d’un vaisseau, dit-il, est une existence d’un genre à part. Avez-vous lu dans Jean-Paul la biographie de deux frères jumeaux qui étaient attachés l’un à l’autre par les épaules ? C’est quelque chose d’analogue, sinon de tout-à-fait semblable. La vie extérieure est uniforme et vide comme la plane étendue de l’Océan et le bleu du ciel, qui s’appuie sur les vagues. Rien à raconter, point d’évènement, point de journal. Le repas lui-même, qui, sans varier jamais, revient deux fois partager chaque journée, est un ennui plus qu’un plaisir. Il n’y a aucun moyen de se séparer, de s’éviter, d’expliquer un malentendu. Qu’un ami, au lieu du bonjour auquel nous sommes accoutumés, nous dise : Comment vous portez-vous ? l’on rumine sur cette nouveauté, et l’on s’enfonce dans un noir souci ; car, pour mettre la conversation sur ce point, il n’y a pas de place sur le vaisseau. Chacun tour à tour se livre à la mélancolie. »

Un gracieux souvenir de la France attendait Chamisso au Kamtchatka. « Je vis, dit-il, pour la première fois un portrait que j’ai souvent retrouvé depuis sur des vaisseaux américains, et que leur commerce a répandu sur les côtes et dans les îles de l’Océan Pacifique, le portrait de Mme Récamier, cette aimable amie de Mme de Staël, auprès de laquelle j’avais eu le bonheur de vivre long-temps. Il était peint sur verre par une main chinoise assez délicate. En regardant ce portrait, notre voyage me semblait une plaisante anecdote racontée parfois d’une manière un peu ennuyeuse, et rien de plus. »

En cherchant les traces de Dante à travers l’Italie, j’ai rencontré la même image reproduite par la main de Canova en souvenir de Béatrice ; je la retrouve aujourd’hui sur les pas de Chamisso dans une peinture chinoise au Kamtchatka.