Vous ne voudriez pas me faire d’insulte.
Eh bien ! s’il vous fallait une raison, il y en aurait une bien simple : c’est que vous n’avez pas le sou.
À la bonne heure ! voici le Samuel d’autrefois ! (Haut.) Mais, monsieur, lorsque vous donnerez votre fille à M. le duc de Montguay, vous n’aurez pas le sou vous-même, comme il vous plaît de dire ; autrement vous rembourseriez le million, et ne donneriez pas votre fille, je le suppose, par goût, à un octogénaire. Ainsi ce n’est pas encore là la raison.
Eh bien ! monsieur, il y en a une autre, c’est que vous n’avez pas de nom.
On peut toujours en acheter un !
Comme j’ai fait, vous voulez dire ? Mais il faut avoir de l’argent pour cela, ça coûte cher !
Et cela ne sert à rien.
Si fait, cela sert à tout ; avec un nom on a du crédit et de la faveur ; ma fille sans dot sera duchesse, et bientôt, veuve d’un octogénaire, comme vous dites, elle pourra épouser un prince.
Et pour peu qu’il ait quatre-vingt-dix ou cent ans, elle pourra en troisièmes noces épouser le roi.
Vous avez de l’esprit !
Et vous aussi. Mais allons au fait : vous faites un calcul que vous croyez bon, et je vais vous prouver qu’il ne vaut rien. Vous croyez que la roture s’élève en s’accrochant à la noblesse, vous vous trompez : c’est la noblesse qui s’abaisse en se rattrapant à la roture.
Ah ! je sais bien que la noblesse dégringole ; mais avant qu’elle soit par terre, nous serons tous morts.
Il est possible qu’elle se soutienne jusque-là dans l’opinion ; mais, en fait d’argent et de pouvoir, elle est déjà morte. La manie qu’ont les traitans de s’anoblir n’est qu’une sotte vanité qu’ils tâchent de se dissimuler à eux-mêmes en se persuadant qu’elle aide à leur fortune. Ils se trompent, on se moque d’eux, et voilà tout.