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l’évêque d’Ipres, composé et tissu avec les textes de saint Augustin, présentait en faisceau et en système tout ce qu’avait écrit en faveur de la grace l’adversaire de Pélage, et tournait contre les molinistes les plus puissans argumens de l’évêque d’Hyppone. C’était un retour aux sources primitives du christianisme, un recours ardent à la prière, à l’exaltation vers Dieu ; c’était une abdication formelle de l’orgueil humain et des prétentions de la liberté. La chute a tout changé pour l’homme, enseignait Jansénius, et l’a plongé dans une corruption dont il ne peut se relever seul ; ses actions sont nécessairement des péchés ; l’unique remède est dans la grace. Dieu la donne à qui il veut, il ne la doit à personne ; la réprobation n’est qu’une stricte justice ; la prédestination est une exception que Dieu réserve à ses élus dans sa miséricorde. Jansénius répète le mot de saint Augustin, qui disait, en s’adressant à Dieu : Da quod jubes et jube quod vis. Le bon plaisir de Dieu fait tout ; sans le secours de Dieu, l’homme ne peut remplir ses commandemens, et ceux qui n’ont pas sa grace sont voués au péché. C’est ainsi que Jansénius dogmatisait avec tristesse et profondeur, en sondant les derniers abîmes de la misère de l’homme et de la prescience divine.

Cette fois, les principes absolus de saint Paul et de saint Augustin se produisaient au sein même de l’église catholique. Ce n’était plus à Wittemberg, à Zurich ou à Genève, mais à Louvain et à Paris qu’ils tentaient une réaction contre les opinions les plus accréditées de la Sorbonne. On touche au doigt la gravité du fond et l’importance du débat : la discussion roulera sur les points fondamentaux de la foi chrétienne, et les plus grands esprits pourront s’y mêler sans descendre. Maintenant quelles seront pour la France les formes et pour ainsi dire la mise en scène de ce mouvement théologique ? Poser cette question, c’est heurter à la porte de Port-Royal.

Un des avantages du christianisme sur les religions qui le précédèrent, a été de donner aux femmes une influence sociale qu’elles ont exercée à travers les opinions et les pratiques religieuses. Dans le polythéisme, les femmes participaient au culte ; mais, si l’on excepte quelques pythonisses, elles ne pénétraient pas au-delà des rites extérieurs, et ne faisaient que servir d’ornement aux fêtes et aux cérémonies. Avec le christianisme leur condition s’éleva, et elles purent jouer un rôle important dans une religion qui accordait tant aux mouvemens du cœur. Des chefs barbares se convertissent parce que leurs femmes disposent de leur ame et de leur foi. D’illustres païens désertent le temple de Minerve pour les autels du Christ, parce que