Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 22.djvu/843

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
839
LE THÉÂTRE EN ITALIE.

pour en revenir à ce que je vous disais tout à l’heure, ici je ne reçois que des pensionnaires nobles, et je leur administre moi-même des remèdes composés d’ingrédiens orientaux. Après un somptueux dîner, mes pensionnaires descendent au jardin et respirent les parfums balsamiques des fleurs ; ils se rassemblent ensuite au salon, y dansent, y font de la musique, y causent de littérature et de politique : le soir, on leur sert un souper magnifique, et bientôt leur état s’améliore à tel point, que non-seulement ils retrouvent la raison qu’ils avaient perdue, mais qu’ils se trouvent avoir acquis l’esprit et la sagesse qu’ils n’avaient jamais eus. Il y a de mes fous, monsieur, qui sont devenus poètes, philosophes, académiciens ; il y en a qui sont devenus ministres et qui gouvernent les états et cela sans qu’il y paraisse.

— Je vous en fais mon compliment sincère ; mais quel est le prix de vos soins ?

— Une misère, 50 ducats par mois ; la famille s’engage en outre à me faire un cadeau de 500 ducats après la guérison, plus les petits présens des professeurs, les bonnes mains des gardiens… vous comprenez ?

— Parfaitement.

— Ainsi donc, quand vous voudrez être des nôtres, seigneur Scaramouche, nous disposerons vos logemens, et je puis vous assurer que vous serez satisfait.

— Je vous rends mille graces, docteur, mais je ne me propose nullement d’être votre pensionnaire. Je n’en ai, je crois, nul besoin.

— J’avais cru… vous savez, les plus fous ont leurs momens lucides, et il vaut mieux arranger soi-même ses affaires.

— Vous êtes trop bon, mais j’ai toute ma raison.

— J’aurais dû m’en apercevoir.

— C’est d’un parent qu’il s’agit, d’un riche industriel qui a fait des pertes considérables et qui est devenu fou de chagrin. Voici 50 ducats pour le premier mois ; tout à l’heure je vous l’amènerai, mais à une condition, c’est que vous ne le maltraiterez pas.

— Ici, monsieur le marquis, nous ne maltraitons personne.

— Convenons de nos faits, car le malade ne voudrait pas me quitter, si je n’usais de quelque ruse. J’arrive donc par cette porte avec le malade, et je vous demande : Tout est-il prêt, monsieur le notaire ? Vous me répondez : Oui, tout est prêt, passez dans ce cabinet pour voir si l’acte est en règle. Sous ce prétexte, je sors par cette porte, qui donne, je crois, sur la rue, je gagne ma voiture et je décampe,