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n’aurait pas dédaigné d’être associé au cavalier de la place des Victoires. Si le héros des Pyramides a quelque connaissance des choses d’ici-bas, certes nul hommage ne l’a plus touché que la large part qu’on lui a faite dans le palais du grand roi. Le culte de la gloire, c’était sa vie. Heureux si ce n’eût pas été là son unique adoration, sa seule croyance !

Ce que nous devons faire aujourd’hui, c’est autre chose. Nous ne songeons pas à célébrer une gloire dont l’univers est plein ; nous voulons acquitter une dette sacrée. Nous ne demandons pas aux beaux-arts de récrire une page brillante de notre histoire ; nous leur demandons un monument funèbre, un tombeau. C’est un grave et pieux devoir que nous voulons accomplir ; c’est un legs du grand homme que la France veut accepter. « Je désire reposer sur les bords de la Seine. » Il y reposera. Ce que la France de juillet veut, c’est qu’à la face de l’Europe la dernière volonté de Napoléon soit exécutée, et que les restes mortels de celui qui, même dans ses sublimes erreurs, pensait toujours à la France, ne se sentent plus étouffés sous le poids de la terre étrangère.

C’est là tout ; nous le disons avec conviction : ce nous semble une véritable profanation, un coupable mépris de la dernière volonté de Napoléon que de mêler à l’accomplissement grave et solennel de cette pieuse cérémonie, à l’érection de ce monument funèbre, quelque chose de bruyant et de profane.

Si la commission s’était bien pénétrée du but qu’elle devait atteindre, elle aurait adopté avec empressement le projet simple et digne du gouvernement. Le projet de la commission ne répondait à rien ; car si elle prétendait consacrer par de nouveaux monumens les souvenirs de la gloire de Napoléon, elle devait demander vingt millions. Il serait fort ridicule de lui ériger des monumens profanes qui ne seraient en rien comparables à ceux qui existent. Ce serait une nouvelle épigramme contre notre temps. On a déjà assez dit que, petits et chétifs que nous sommes, nous préférons les statuettes aux statues, les lithographies aux tableaux.

Encore une fois, c’est un tombeau sur le sol de la patrie que Napoléon nous demande et que l’honneur de la France réclame ; qu’importe la somme. Placez là où vous voudrez les dépouilles mortelles de Napoléon, inscrivez son nom sur le plus simple des marbres, et le monument sera grand. D’ailleurs, était-ce le moment, était-ce à la commission, était-ce à la chambre de s’occuper de ces détails ? Fallait-il faire de la demande une question de finances et de devis ? la traiter comme la demande d’une rue nouvelle ou d’un pont ? Évidemment, le gouvernement n’avait pas de devis. Le chiffre rond d’un million le prouvait. Les détails de l’opération, il ne les avait pas encore arrêtés. Cependant il ne pouvait pas différer la présentation de la loi ; la réponse de l’Angleterre méritait une prompte exécution. Il avait demandé un million, certain que les chambres ne lui refuseraient pas un bill d’indemnité, s’il devenait indispensable de dépasser la somme allouée.

La commission, par son projet et en dépassant le but, a embarrassé tout le monde : le ministère, qui, on le comprend, n’a pas eu le courage de repousser des amendemens dictés par des sentimens fort naturels chez les membres de