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clamait un nouvel aliment. Un ébranlement intellectuel, prélude de la réforme, tenait les cerveaux en émoi. Novateurs inspirés, les grands hommes de l’Italie répandaient autour d’eux des flots d’une lumière éblouissante qui était accueillie avec transport. La science se dégageait de l’enveloppe de la scolastique et des erreurs du moyen-âge ; elle restituait à l’esprit humain les trésors de l’antiquité. Indiquant des issues inconnues jusqu’alors, elle les montrait sous cette forme vague qui fascine les imaginations ardentes et qui les féconde, et elle fournissait des moyens de réalisation que le passé n’avait pas possédés.

En réhabilitant l’opinion de la rotondité de la terre, parfaitement admise et démontrée par les pythagoriciens et par Aristote, par l’école des philosophes d’Alexandrie, par Strabon, et avérée chez les Romains, elle faisait naître la pensée d’entreprises infinies en nombre et grandioses de proportion. Chez les anciens, cette croyance était restée stérile à cause de l’imperfection extrême de la navigation. Au XVe siècle, l’art nautique, grossier encore, avait cependant fait assez de progrès pour qu’il fût enfin possible à des hommes doués d’un corps de fer et d’une ame de bronze d’explorer et de sillonner notre planète arrondie. L’usage plus fréquent et mieux entendu de la boussole, que l’Europe avait reçue des Arabes, qui la tenaient de la Chine par l’Inde, impliquait toute une révolution maritime. Se joignant à la boussole, l’invention de l’astrolabe et du quart de cercle, et le calcul des hauteurs du soleil, au moyen de tables telles que celles de Regiomontanus, achevaient de dépouiller l’Océan du titre que lui donnaient les géographes, de mer ténébreuse, et en promettaient l’empire à l’homme.

Buvant à la coupe qu’on leur présentait, les peuples s’initiaient à des désirs sans limites et à des espérances sans fin. La vue des hommes s’allongeait, les poitrines se dilataient ; on eût dit que tous les sens redoublaient de vivacité et d’énergie. L’intellect s’épanouissait, les appétits grandissaient, une vie nouvelle entrait par tous les pores, avec ses chances tant mauvaises que bonnes, avec son surcroît de sensations douces et pénibles, ses nouveaux besoins, ses tumultueuses exigences, son nouveau faix de responsabilité et de soucis, et débordait comme un torrent. Les chefs des peuples devaient se dire ces paroles inquiètes des disciples au Christ : Comment, avec trois pains et deux poissons, rassasierons-nous cette multitude ?

C’était une situation pareille à celle qui se déroule sous nos yeux.

Ainsi tout faisait à l’Europe chrétienne une loi de trouver quelque