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L’EUROPE ET LA CHINE.

qu’est-ce donc, sinon la preuve que l’Europe est la dépositaire des destins de l’humanité ?

Je ne veux certes point décrier ce que ma faible voix a vanté autant qu’il lui était possible. Je ne veux point médire des chemins de fer, des canaux et autres travaux publics, des améliorations matérielles et positives en général : ce que j’ai adoré, je ne le brûle pas, je l’adore encore. Chez nous, le gouvernement de 1830 a fait de ces perfectionnemens beaucoup plus que ceux qui l’avaient précédé. Il n’en a point fait assez cependant. Il ne leur a pas imprimé ce cachet de généralité et de grandeur que le Français affectionne. Il n’a pas su les coordonner, les conduire avec unité et ensemble. En somme, à cet égard, son entreprise dirigée à bâtons rompus par des ministères constamment menacés de mort, sous les auspices de chambres trop disposées à confondre l’épargne avec l’économie, à travers mille soucis, mille exigences des partis, a été incomplète et quelquefois mesquine. Cependant elle n’a été sans fruit ni pour le pays ni pour le prince. Elle a augmenté la prospérité nationale, elle a valu au gouvernement les suffrages et l’adhésion sincère des classes commerçantes et industrielles. Continuée sur des proportions plus larges et avec plus de perfection, unie à un vaste plan d’organisation du travail et des travailleurs de tous les ordres, elle procurera au pouvoir un peu de cette stabilité qu’il cherche avec anxiété et qu’il ne trouve pas. La politique des intérêts matériels assurera aux classes pauvres le bien-être qu’elles désirent, qu’elles méritent, qu’elles se savent fondées à revendiquer en échange de leurs sueurs qu’elles prodiguent. Elle seule fermera la bouche aux adversaires du régime monarchique, qui promettent aux masses populaires des satisfactions devenues chères à tous, et qui, à l’appui du système républicain, tracent le brillant tableau de l’aisance dont jouissent l’ouvrier et le paysan dans les états de l’Union américaine. Chez nous, qui avons une dynastie nouvelle, assise sur un trône dressé par le bras populaire, elle est plus qu’ailleurs une nécessité et un devoir.

Ceci est donc bien entendu, tout Européen doit vouloir les améliorations positives. C’est de la politique telle qu’il est indispensable d’en faire, de celle à laquelle doivent prêter leur concours dévoué tous ceux qui aiment l’humanité, tous ceux qui veulent que le sentiment de fraternité gravé lentement dans les cœurs par le christianisme, et maintenant en train de s’introduire partout dans les lois sous le titre d’égalité, devienne un gage de bonheur privé et de prospérité publique, et non le provocateur de bouleversemens affreux.