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Ainsi, sauf la chance de quelques collisions qui pourraient être cruelles, mais qui au moins, par le bref intervalle de temps qu’elles occuperaient, ressembleraient à de simples accidens, on peut regarder la cause de la paix européenne comme définitivement gagnée. Et comme il faut être juste envers tout le monde, même envers les rois, disons hautement ici que ce triomphe de la paix au sein de l’Europe est dû à la sagesse du roi Louis-Philippe. C’est à lui qu’appartient l’initiative de cette belle et salutaire pensée qui devrait former la devise de la dynastie d’Orléans, et qui lui portera bonheur. Si d’autres princes, à commencer par le vieux monarque qui vient d’être ravi à la vénération de la Prusse, et des hommes d’état tels que M. de Metternich, lord Wellington et lord Grey, peuvent revendiquer une part dans l’honneur du succès, c’est encore au roi des Français qu’en revient le principal mérite ; car lorsque la tempête allait éclater, lorsque le Nord et le Midi déchaînés semblaient au moment de se précipiter l’un contre l’autre, il a eu à contenir et il a contenu le plus fougueux des autans.

C’est précisément pour consolider cette paix européenne qu’il faudra qu’on permette aux peuples européens de se répandre au dehors. L’Europe, je le redis encore, a le tempérament belliqueux, lutteur, jouteur ; elle aime à brandir son épée, et malgré la prophétie d’Isaïe, malgré l’adoucissement des mœurs, elle n’est pas au moment de convertir les fers des lances en socs de charrue. Mais les glaives que dirigeaient autrefois l’amour du pillage, l’esprit d’oppression, des haines féroces ou de hideuses jalousies, se mettront et se mettent déjà au service des principes civilisateurs. Au nom du ciel, que la civilisation accepte !

On s’y est pourtant refusé jusqu’à présent. L’esprit guerrier, à qui on demandait des concessions sans retour, n’a donc pas cédé sans une vive résistance le terrain qu’il a perdu depuis 1830. L’hostilité a été bannie du monde des faits, en ce sens que l’on n’a pas promené les bataillons à travers champs, ou que du moins on ne les a pas poussés les uns contre les autres ; mais elle est restée dans les sentimens. On ne s’est pas égorgé, mais on ne s’est pas moins cordialement détesté. Les congrès et les conférences ont pris la place des batailles, conquête immense du génie de la paix européenne ! Mais, pendant qu’on imposait silence au canon, que de fois les dagues ont été tirées sous la table ! On a juré la paix en se prodiguant les uns aux autres les démonstrations d’une antipathie tracassière, brutale même entre adversaires, d’une méfiance insultante, d’une envie sans dignité