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lantes, le chant harmonieux des oiseaux mêlé au murmure de mille ruisseaux limpides, et, au milieu de tout cela, une ville étincelante de lumière, d’or, de pierres précieuses, où le glorieux saint Patrice, entouré d’une immense multitude d’anges et de saints, l’a félicité de son courage et lui a ordonné de retourner sur la terre pour y mériter d’être un jour admis dans la cité céleste. En terminant ce récit, Ludovic demande aux religieux de le recevoir dans leur communauté.

Ainsi finit cet étrange ouvrage. Si nous nous y sommes arrêté aussi longuement, c’est parce qu’à défaut d’un grand mérite littéraire, il a une valeur historique très réelle. L’époque où de tels spectacles pouvaient être avec succès offerts au public et où l’on croyait honorer la religion en la présentant comme une vaine abstraction compatible avec tous les écarts de la perversité et de la cruauté, cette époque est suffisamment caractérisée.

Ce n’est pas d’ailleurs le seul drame où Calderon ait développé cette monstrueuse doctrine. Elle fait encore le fonds de sa célèbre comédie la Dévotion de la Croix, dans laquelle il y a incontestablement plus d’art et de poésie que dans le Purgatoire de saint Patrice, mais qui cependant, à notre avis, a été beaucoup trop exaltée par Guillaume Schlegel. Le héros est un chef de brigands, non pas, comme les brigands de Schiller, un brigand philosophique, un systématique adversaire de la tyrannie légale, mais un véritable bandit qui, retiré dans des montagnes presque inaccessibles, répand la désolation et la terreur dans les campagnes voisines. Cependant, au milieu de ses innombrables forfaits, il a conservé un sentiment profond de respect pour les signes extérieurs de la piété. Après avoir blessé mortellement un de ses ennemis, il le porte lui-même jusqu’à l’entrée d’un couvent, pour qu’il puisse y recevoir les secours religieux. Sur la terre dont il recouvre les cadavres de ses nombreuses victimes, jamais il ne manque d’élever une croix. Au moment d’outrager une jeune religieuse qu’il est allé enlever jusque dans sa cellule, il s’enfuit épouvanté à l’aspect de la croix dont l’empreinte est marquée sur sa poitrine. Un vieux prêtre, qu’il rencontre sur un grand chemin et qu’il veut d’abord égorger, devient l’objet des égards les plus empressés, dès que son caractère est reconnu. Tant d’actes méritoires ne restent pas sans récompense. Le brigand finit par succomber dans une rencontre avec les paysans soulevés contre lui ; mais la puissance divine le ressuscite pendant quelques instans pour qu’il puisse confesser ses péchés et gagner ainsi le ciel.

Nous pourrions citer une multitude d’autres drames, tant de Calderon que de ses émules, où se trouve reproduite l’idée fondamentale des deux compositions que nous venons d’analyser. Dans l’Animal prophète de Lope de Véga, Jésus-Christ descend du ciel pour sauver un croyant qui a tué son père et sa mère et projeté l’assassinat de sa femme. Dans le Damné par faute de foi de Tirso de Molina, un brigand, un meurtrier, mort repentant sur l’échafaud, est porté au ciel par les anges, tandis qu’un saint ermite, après une longue vie de sacrifices et de piété, est précipité, pour un seul instant de doute, dans le crime, et de là dans les flammes infernales. C’est toujours le même principe :