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léon désirait avec une extrême ardeur, c’était l’appui d’une des grandes monarchies du continent.

L’Autriche était hors de la question ; nous l’avions blessée trop profondément en Italie et en Allemagne pour que nous pussions jamais nous flatter de nous la rattacher. Il était impossible qu’elle nous pardonnât de l’avoir rejetée sur la rive droite de l’Adige, et de lui avoir enlevé l’appui des votes ecclésiastiques à la diète impériale. Elle était sur le continent notre ennemie implacable, comme l’Angleterre l’était sur mer. Chez l’une comme chez l’autre, il y avait une résolution arrêtée, c’était de ne rentrer dans des voies réellement pacifiques que lorsqu’elles nous auraient chassés, l’une de l’Italie, l’autre d’Anvers. Entre nous et l’Autriche il y avait un abîme. Mais l’Autriche était une puissance timide, ses finances étaient délabrées, ses peuples découragés ; il était permis de croire que, si la France réussissait à s’attacher la Russie ou la Prusse, la cour de Vienne serait contenue et sa haine impuissante.

Il y eut un moment où Napoléon crut trouver dans la Russie ce puissant allié qu’il cherchait. La France et la Russie étaient trop éloignées pour se froisser ; elles avaient l’une et l’autre leur sphère distincte d’influence et d’action, où elles pouvaient se mouvoir librement, sans craindre de se porter ombrage. Unies ensemble, elles étaient assez fortes pour gouverner le continent et empêcher les passions brouillonnes d’en troubler le repos. La mort de l’empereur Paul enleva au premier consul un ami et un allié qui, s’il avait vécu, eût probablement changé le cours des évènemens. Alexandre, au début de son règne, parut ne s’écarter que faiblement des erremens de son père. Sans entretenir avec Napoléon des relations de confiance aussi intimes, il manifesta un vif désir de vivre avec lui dans une parfaite harmonie. Doué par la nature d’un esprit fin, délié, pénétrant et toutefois mobile et exalté, il ne pouvait se défendre d’une admiration secrète pour le premier consul. Il se sentait entraîné par un attrait invincible vers cet homme supérieur. Mais il ne rencontrait pas autour de lui les mêmes dispositions ; son cabinet et sa noblesse étaient jaloux de la grandeur où le premier consul venait d’élever la France. Ils étaient blessés qu’au fond de l’Occident un homme nouveau, d’abord soldat heureux, puis devenu, par la puissance de son épée et l’autorité de ses grandes actions, le maître de la France, eût l’insolente pensée d’interdire à la Russie le droit de peser sur les affaires d’Occident. Alexandre subissait l’influence de sa cour. Le rôle secondaire qu’il avait joué dans l’opération du partage des indemnités avait commencé