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la Prusse, et si le même accord devait toujours régner entre ces deux puissances dans toutes les questions germaniques, les princes du second ordre ne seraient plus que leurs préfets héréditaires. Les conséquences d’un tel état de choses seraient incalculables.

D’accord avec l’Autriche pour exercer sur la confédération une police dictatoriale, la Prusse s’est de même associée aux décisions arrêtées par cette puissance et la Russie dans les congrès de Troppau, de Laybach et de Vérone. Dans cette phase de sa vie, Frédéric-Guillaume n’a rempli qu’un rôle secondaire et effacé. Sa modération et son excellent jugement contrastaient avec les procédés violens de la sainte-alliance. Il dut souvent souffrir d’être entré dans un système qui n’était pas le sien, et où il ne tenait point un rang digne de sa puissance ; mais il se trouvait lié aux souverains d’Autriche et de Russie par une solidarité de position et d’intérêts dont il lui était difficile de s’affranchir. Les souverains alliés avaient travaillé tous en commun à la pacification et à la réorganisation de l’Europe. L’œuvre qui était sortie de leurs mains était loin d’être un monument de sagesse et d’équité. Sous l’influence maîtrisante du cabinet de Saint-Pétersbourg, la Prusse et l’Autriche avaient été forcées de se montrer cupides et spoliatrices. Des populations dont les titres et les droits auraient dû être respectés, avaient été immolées aux calculs de l’égoïsme et de l’ambition. De là, pour les trois puissances, la nécessité de rester unies pour se garantir contre de légitimes ressentimens. La Prusse avait donc nécessairement sa place marquée dans la sainte-alliance ; mais Frédéric-Guillaume, intimidé par l’exaspération des démocrates allemands, y apporta trop d’abnégation. Sans rompre avec ses alliés, il pouvait conserver une attitude plus ferme et plus digne de ses lumières et de l’élévation de son jugement. Du reste, il ne tarda pas à comprendre qu’il s’était laissé trop engager dans cette voie rétrograde. Aussitôt que la situation intérieure de la Prusse se fut améliorée, que l’arrestation et le jugement des conspirateurs, les restrictions plus sévères imposées au régime des universités, la dissolution des sociétés secrètes eurent ramené le calme dans les esprits, il reprit sa liberté d’action et agit en souverain, décidé à répudier, dans le gouvernement de ses peuples, les principes exclusifs et violens de ses alliés.

Le 5 juin 1823, au moment où succombait la révolution espagnole et où les idées absolutistes semblaient avoir pris possession de tout le continent, Frédéric-Guillaume donna aux provinces de sa monarchie une organisation d’états provinciaux conçue sur des bases assez