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SAVANTES.

de Liegnitz et comtesse de Hohenzollern. C’était une jeune et belle personne, d’une douceur infinie et d’une complète abnégation ; elle a charmé la vieillesse du feu roi, sans toutefois lui faire oublier sa première épouse.

Il n’a jamais eu de favoris en titre, et cependant il avait, comme souverain et comme homme, des prédilections décidées. Dans la première partie de son règne, M. Lombard, secrétaire intime de son cabinet, possédait toute sa confiance ; plus tard, il l’a donnée sans partage au prince de Hardenberg, et enfin, dans les dernières années de sa vie, au prince de Wittgenstein. Il gouvernait par lui-même, dans toute l’étendue de ce mot ; ses ministres ne furent jamais que les interprètes plus ou moins habiles de ses volontés. Dans la politique étrangère spécialement, il ne souffrait aucun partage. La terrible leçon d’Iéna lui avait appris à ne suivre, dans la gestion de ces hauts intérêts, que les inspirations de son propre jugement. Le peu de goût qu’il avait montré dans sa jeunesse pour le travail et les affaires avait fait place à une application forte et soutenue, et il remplissait avec une exactitude et un zèle scrupuleux tous les devoirs de la royauté. Aussi, quoique la nature ne l’eût pas doué de facultés éminentes, la longue pratique des affaires en avait fait un des hommes d’état les plus éclairés de l’Europe, et sa voix était toujours écoutée avec un religieux respect dans le conseil des souverains.

Sans doute, dans sa longue et orageuse carrière, il a commis des fautes ; quel homme, si sage et si éclairé qu’il fût, aurait pu se flatter de n’en pas faire au milieu de si terribles vicissitudes ? Comme tous les hommes, il a failli par l’excès de ses qualités, montrant de la faiblesse quand il ne fallait être que modéré, de l’irrésolution lorsqu’une décision prompte et ferme pouvait seule le sauver, une conscience trop scrupuleuse dans un ordre d’idées et de faits auquel ne sauraient s’appliquer les règles de la morale privée. Malgré ses fautes, ou peut-être même à cause de ses fautes, Frédéric-Guillaume III n’en sera pas moins classé par l’histoire au nombre des plus excellens rois qui aient honoré le trône. La Prusse a compté parmi ses souverains des hommes d’un génie plus grand et plus hardi ; elle n’en a pas eu qui ait porté aussi loin que lui l’amour du bien et de la justice. Aucun, si l’on fait la part des circonstances difficiles dans lesquelles l’ont placé ses rapports avec la Russie et l’Autriche, aucun n’a plus fait pour le bonheur de son peuple, pour sa véritable civilisation, n’a porté dans la direction des hautes affaires, sauf les questions religieuses, moins de préjugés étroits. Dès qu’il a jugé le moment venu