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ques. M. Poisson n’a pas seulement exécuté dans cette vue des calculs immenses, mais il a dû aussi introduire dans son analyse des considérations théoriques très élevées lorsque les calculs devenaient impraticables. Son principal mérite est d’avoir su démontrer à priori que tous les termes non périodiques de l’ordre qu’il a considéré doivent se détruire, d’où il a déduit avec plus d’exactitude que n’avait pu le faire Lagrange l’invariabilité des grands axes des orbites des planètes et la stabilité[1] de notre système planétaire.

M. Poisson obtint à cette époque les suffrages les plus flatteurs. Laplace, qui n’était pas prodigue de louanges, a dit, dans la Mécanique céleste, que ces recherches « avaient acquis à M. Poisson de justes droits à la reconnaissance des géomètres et des astronomes. » Et malgré son caractère réservé et froid, il ne put s’empêcher, à propos, de ce travail, de s’écrier en présence de plusieurs personnes[2] : Poisson est un beau génie ! Toute l’Europe savante fut émue par ce grand résultat ; mais ce qui dut surtout flatter le jeune analyste, ce fut de voir Lagrange, âgé de soixante-douze ans, et qui, depuis plusieurs années, semblait avoir négligé la mécanique céleste[3], électrisé par le mémoire de son ancien élève, reprendre ses premiers travaux pour y rattacher ces brillantes découvertes. L’illustre vieillard lut alors successivement à l’Institut trois mémoires, qui sont à la fois un de ses plus beaux titres à l’immortalité et le plus bel hommage qu’on ait jamais rendu au talent de M. Poisson.

  1. Il est évident que l’invariabilité des grands axes ne suffit pas pour la stabilité du système planétaire, et qu’il faut prouver aussi que les variations séculaires des excentricités et des inclinaisons des orbites seront toujours renfermées dans des limites assez restreintes. Mais cela avait été déjà démontré par Laplace en partant de l’invariabilité des grands axes, d’où il résulte que cette invariabilité établie par M. Poisson prouve complètement la stabilité du système planétaire.
  2. Parmi ces personnes se trouvait M. Dinet, inspecteur-général de l’Université, et l’un des plus anciens amis de M. Poisson.
  3. On a dit souvent que le génie de Lagrange s’était endormi et que ce fut M. Poisson qui le réveilla ; mais cela est inexact, car, sans parler des Leçons sur la Théorie des fonctions, qui parurent avec des additions considérables en 1806, M. Maurice, dans son excellente notice sur Lagrange, a fait ressortir toute l’importance des notes que cet illustre géomètre avait ajoutées, en 1808, à sa Résolution des équations numériques, et qui avaient pour but de rattacher à sa théorie générale la mémorable découverte de M. Gauss sur la résolution des équations à deux termes. Lagrange, en parlant du beau travail du géomètre de Pithiviers, a dit ce qui suit : « Cette découverte de M. Poisson a réveillé mon attention sur un objet qui m’avait autrefois beaucoup occupé, et que j’avais ensuite totalement perdu de vue. » Et c’est là la vérité.