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MADAME DE LONGUEVILLE.

avait à faire eût embarrassé Sertorius[1]. » Fâcheux et bizarre augure ! cette aversion pour le mari combattait ici les intérêts de l’amant, et pour celui-ci, n’en pas triompher, c’était déchoir. Enfin les sentimens de M. de La Rochefoucauld cessent positivement d’être la boussole de Mme de Longueville : elle semble accueillir sans défaveur les hommages de M. de Nemours ; elle les perd peu après par l’intrigue de Mme de Châtillon, qui les ressaisit comme son bien, et qui en même temps trouve moyen d’obtenir ceux du prince de Condé, lequel échappe de nouveau à la confiance de sa sœur. C’est M. de La Rochefoucauld dont la politique et la vengeance ont concerté cette revanche trois fois ulcérante pour Mme de Longueville. Elle était déjà d’ailleurs brouillée ouvertement avec son autre frère, le prince de Conti, qu’elle avait jusqu’alors absolument gouverné, et même subjugué[2]. Elle perd bientôt ses derniers restes d’espoir sur M. de Nemours, qui est tué en duel par M. de Beaufort, et dès ce moment sa colère, sa haine contre lui tournent en larmes, comme s’il lui était pour la première fois enlevé. Vers le même temps, la paix finale se conclut (octobre 1652) ; la cour et le Mazarin triomphent ; la jeunesse fuit, et sans doute aussi la beauté commence à suivre ; tout manque donc à la fois ou va manquer à Mme de Longueville. Étant encore à Bordeaux, et d’un couvent de bénédictines où elle s’était logée aux approches de cette paix, elle écrivait à ses chères carmélites du faubourg Saint-Jacques, avec lesquelles, dans les plus grandes dissipations, elle n’avait jamais tout-à-fait rompu : « Je ne désire rien avec tant d’ardeur présentement que de voir cette guerre-ci finie, pour m’aller jeter avec vous pour le reste de mes jours… Si j’ai eu des attachemens au monde, de quelque nature que vous les puissiez imaginer, ils sont rompus et même brisés. Cette nouvelle ne vous sera pas désagréable… Je prétends que, pour me donner une sensibilité pour Dieu que je n’ai point encore, et sans laquelle je ferois pourtant l’action que je vous ai dite, si l’on avoit la paix, vous me fassiez la

  1. Lemontey, dans sa notice sur Mme de Longueville, dit qu’on a pu définir ainsi les dernières années de la guerre civile : « Tournoi de deux femmes, Geneviève de Condé et Anne d’Autriche ; l’une pour fuir son mari, l’autre pour rapprocher son cardinal. »
  2. Ses relations avec ses deux frères eurent tout le train et toute l’apparence orageuse des passions. Le prince de Conti en particulier, dès son entrée dans le monde, s’était mis sur le pied de lui plaire plutôt en qualité d’honnête homme que comme frère. Est-il possible de dire plus et en même temps de dire moins ? Ce ne peut être qu’une femme (Mme de Motteville) qui ait trouvé cela.