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LES HARVIS ET LES JONGLEURS.

Ce tour est simple, très simple, dira-t-on, mais se débarrasser des cordes et du filet, se cacher dans un si petit espace, y rester un quart d’heure sans broncher et de telle façon que le sabre ne puisse rencontrer quelque membre à entamer, ce sont là des prodiges de dextérité, de souplesse et de patience que l’on ne peut concevoir, surtout quand on les a vus.

Après ce nec plus ultrà de la science, les jongleurs firent leurs paquets et se mirent en marche vers Nagapour, leur patrie. Je les vis se perdre dans la foule de bœufs chargés que des troupes de Mahrattes, tribus ambulantes traînant avec eux armes et bagages, femmes et enfans, conduisent dans l’intérieur.

La foule se dispersa peu à peu. Le soleil déclinait derrière les montagnes, le peuple se rendait à l’étang pour les ablutions, et le gros oiseau pêcheur, hôte de ces eaux tranquilles, était si sérieux à la pointe de la pagode, qu’on l’eût pris pour le dieu de ce temple idolâtre.

Pour moi, je remontai sur mon petit cheval, et, tout en trottant au milieu des nuages d’une poussière dorée par les derniers feux du jour, je ne pus m’empêcher de reconnaître que ces jongleurs errans battaient complètement non-seulement les harvis du Caire, mais encore les plus fameux escamoteurs de l’Europe, et que, si la magie n’est pas morte, c’est dans l’Inde qu’il faut la chercher


Théodore Pavie.


Pounah, chez les Mahrattes, 23 décembre 1839.