Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/526

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
522
REVUE DES DEUX MONDES.

et on était bien résolu à s’en occuper exclusivement, à y consacrer toutes les ressources du pays, ce qu’on fit réellement.

Malgré ces moyens de succès qui n’ont appartenu qu’à lui, Espartero a mis près de quatre ans à en finir avec l’insurrection. À part sa bravoure dans l’action, qui n’a jamais été contestée, il a montré beaucoup plus les qualités d’un temporisateur, d’un négociateur, que celles d’un homme de guerre. Encore a-t-il souvent abusé de la temporisation. Atteint d’une inflammation chronique de la vessie, il passe sa vie dans son lit. C’est au lit qu’il dicte ses plans, qu’il entend les rapports de son état-major, qu’il ordonne les manœuvres ; c’est au lit qu’il reçoit les députations, les adresses de félicitations, les couronnes de laurier. Il n’est pas étonnant qu’il s’y endorme aussi quelquefois. Son état ne lui permet pas de supporter la moindre fatigue ; ses soldats racontent qu’ils l’ont vu souvent, quand une marche était un peu longue, forcé par la douleur de descendre de cheval et de se rouler à terre en poussant des cris aigus. Son caractère est, comme sa santé, un mélange d’intermittences fiévreuses et de longues périodes de marasme. L’activité continue lui déplaît au moins autant qu’elle lui est nuisible. Partout ailleurs qu’en Espagne, un pareil général serait impossible.

Il lui est souvent arrivé de lasser jusqu’à la patience de ses compatriotes, et cependant les Espagnols aiment à attendre. Quand il n’y aurait, pour le prouver, que l’éternel exemple du temps qu’ils ont mis à chasser les Maures, il ne serait guère permis d’en douter ; ils n’ont paru, durant sept cents ans, nullement pressés d’en finir, et l’on aurait dit qu’eux-mêmes prenaient plaisir à faire durer la guerre. Espartero a mis à une rude épreuve cette vertu nationale. Chacune de ses opérations militaires a été suivie de plusieurs mois d’immobilité absolue. L’opinion publique se soulevait de temps en temps ; les cortès tenaient une séance secrète pour délibérer sur cette inaction du général en chef ; on lui envoyait des députés pour le presser, mais cette mission, quoique renouvelée de celle des représentans du peuple aux armées sous la convention, n’avait aucun effet. Puis, comme après tout Espartero finissait toujours par avoir un succès, le fatalisme national reprenait le dessus, et la nation, comme le général, se reposait sur un bulletin.

Le premier et le plus grand succès militaire qu’il ait obtenu depuis qu’il est général en chef, c’est la victoire de Luchana, qui amena la délivrance de Bilbao. Il débuta par là dans son commandement, et obtint du premier pas son plus beau titre. Or il est certain que les troupes