ex-président de la république du Chili. M. Freyre, l’un des personnages les plus marquans de l’Amérique du Sud, venait d’être exilé de sa patrie à la suite d’une réaction dirigée par le général Priato. C’était un beau vieillard, au regard calme et doux, parlant de ses malheurs sans amertume et ne regrettant que l’impuissance où il se trouvait de pouvoir servir son pays. La faction victorieuse l’avait indignement traité : jeté sans argent, presque sans habits, sur l’île déserte de Juan Fernandez, il n’avait dû qu’à la pitié un asile à bord d’un navire qui le conduisit à Sydney, puis à Taïti. Là, dans une résignation parfaite, il attendait le jour où un retour de fortune le rendrait à ses amis et à sa famille. Presque tous les soirs le général Freyre se rendait chez M. Moërenhout, où les officiers de l’Artémise venaient de leur côté. La conversation roulait alors sur Taïti, sur les mœurs curieuses de ses peuples, sur les intérêts politiques et commerciaux qui s’y rattachaient. Le thé terminait la soirée.
Un seul Français vivait alors dans l’île, jeune homme dont la vie était une suite d’aventures ; il se nommait Louis. Son père, fermier des environs de Paris, s’était vu ruiné en 1816 par la faillite d’un fournisseur des armées, et avait fait voile pour les États-Unis avec son enfant en bas-âge. Les bords du lac Érié donnèrent asile à cette famille, vouée dès-lors à la rude condition du pionnier. Louis grandit à cette école. Tour à tour patron de barque sur l’Hudson, agriculteur, jockey, marin, baleinier, il s’était fait caboteur à Taïti, et pêcheur de perles dans les parages de Pomotou. Un vieux chef de Pape-Iti et sa femme avaient adopté le jeune Français, et leur dévouement à son égard tenait de l’idolâtrie. Louis était d’ailleurs un garçon plein d’activité et d’intelligence. Toutes les langues des archipels voisins lui étaient familières, et il s’était si bien identifié avec les mœurs du pays, que le type seul le séparait de ces sauvages. Rien n’était plus singulier que sa conversation, mélange confus de souvenirs européens et d’impressions polynésiennes. Nos officiers aimaient à le faire causer, à l’employer pour divers services. Il devint leur interprète, leur compagnon assidu, et, pendant tout le cours de la relâche, il se montra d’un dévouement à toute épreuve.
Au milieu de cette vie doucement occupée, les officiers de l’Artémise ne perdaient pas de vue l’objet essentiel de leur mission. Il s’agissait d’une réparation à obtenir des évangélistes luthériens qui s’étaient imposés à ces populations naïves et dociles. Mais pour l’intelligence de cette portion du voyage, il est nécessaire de jeter un coup d’œil rapide sur les faits antérieurs.