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times humaines. Les fonctions sacerdotales étaient héréditaires, et les prêtres avaient le rang de chefs ; le pontife était ordinairement un membre de la famille régnante. À côté des prêtres, et en dehors de leur influence, figurait la classe des aréois, qui se recrutait par une sorte d’initiation et d’investiture religieuse. Les droits des aréois, véritables chefs de l’île, leur assuraient en toutes choses une impunité dont ils usaient largement.

Telles sont les mœurs et les croyances contre lesquelles les missionnaires anglicans allaient avoir à lutter. Trompés par la tolérance affectueuse des naturels, ils crurent à un triomphe facile. Leur illusion ne fut pas longue. On les écoutait, on réclamait leurs secours comme mécaniciens, comme ouvriers intelligens et habiles ; mais on s’en tenait là. À peine installés, ils avaient cherché à combattre les mœurs locales dans ce qu’elles avaient de plus barbare ; la coutume qui existait parmi les aréois, de détruire leurs nouveaux-nés, attira d’abord leur attention[1]. Pour vaincre cet odieux usage, les apôtres s’adressèrent à l’amour des mères, qui parut capituler ; mais les préjugés des chefs reprirent bientôt le dessus. Ces tentatives infructueuses furent même suivies de quelques persécutions. Si les intentions du vieux Pomaré étaient toujours excellentes, son fils ne cachait pas son éloignement pour les missionnaires, et bientôt des guerres civiles vinrent empirer cette situation précaire. De 1800 à 1803, les prêtres anglicans, malgré des prédications nombreuses et d’infatigables efforts, n’avaient obtenu aucun résultat réel. Partout où ils s’étaient présentés, on les avait tournés en ridicule, en disant que leur Dieu était tout au plus le serviteur du grand Oro, le maître du monde. Telle était la situation des choses à la mort de Pomaré Ier, qui eut pour successeur son fils, Pomaré II.

Une confusion effroyable suivit cet évènement. Pendant six années environ, Taïti offrit le spectacle d’un bouleversement complet. Il s’agissait de l’image du dieu Oro que se disputaient divers partis, et en l’honneur de laquelle on tua et dévora des milliers de victimes. Les équipages des navires anglais de relâche dans les ports de Taïti se mêlèrent, à diverses reprises, de la lutte, et firent incliner le succès du côté des armes à feu. Au milieu de ces désordres, les missionnaires n’avaient pu se maintenir sur la grande île ; ils s’étaient retirés à Eimeo, où Pomaré ne tarda point à paraître, vaincu, dépos-

  1. Cette coutume barbare prenait sa source dans la nécessité imposée aux aréois, comme aux autres chefs, d’abdiquer leurs fonctions en faveur de leurs enfans.