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LE MARINO.

qui, de deux génies admirables dans leur sève distincte et leur développement naturel, composait un mélange faux et menteur. La France, qui se débattait aveuglément dans sa recherche d’une élégance idéale, calqua les défauts de Marino, qui n’était plus, à vrai dire, ni Espagnol ni Italien, et crut imiter l’Italie ; il fallut trente années de lutte et d’efforts pour que le bon sens et la sagacité de la nation se dépouillassent de cet encombrement ridicule. La langue française s’était cependant enrichie, et parmi beaucoup de folies et de vaines affectations, on avait réalisé des conquêtes ou du moins des acquisitions précieuses.

Alors Boileau, entouré des génies plus féconds et non moins sages de Molière, Racine et Pascal, vint, massue en main, détruire les admirations dangereuses du demi-siècle qui le précédait. Marino fut traîné aux gémonies avec Théophile et Saint-Amant, ses fils naturels.

Quiconque révoquerait en doute l’influence exercée par ce versificateur fécond, nierait l’autorité de tous les mémoires contemporains, Conrart, Pelisson, Chapelain, Tallemant des Réaux. Il récuserait Marino lui-même, qui, dans sa préface adressée à l’Achillini, cite comme ses imitateurs Desportes, Vaugelas, Durfé et plusieurs autres. Faute d’étudier d’assez près le cours parallèle des littératures étrangères, on n’a pas dit de quelle puissance s’est long-temps armée cette école italo-hispanique, dont Marino, admiré au commencement du dix-huitième siècle, s’est fait le représentant et le dieu. Les défauts de Voiture, de Cotin, de Viaud, de Saint-Amant, n’ont pas d’autre source que cette imitation d’un mauvais modèle. La célèbre apostrophe de Théophile Viaud, s’adressant au poignard de Pyrame :

Il en rougit, le traître !

est du Marino tout pur.

O bella incantatrice !
Quel tuo si dolce canto
Dolce canto non è, ma dolce incanto
 !

reproduit absolument, sous une forme variée, le fameux distique ridiculisé par Molière :

Ne dis pas qu’il est amarante,
Mais dis-nous qu’il est de ma rente ?

Lorsque Saint-Amand se livre à son minutieux amour des détails infinis,