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de quoi désespérer les penseurs. Faut-il conclure de toutes ces inquiétudes, de toutes ces opinions divergentes, que la philosophie de l’histoire n’est qu’une belle mais vaine spéculation, et l’abandonner par le sentiment de notre impuissance ? Loin de là. Si les plus hautes intelligences ont suivi des voies diverses, si elles ont entrevu, pressenti, les grandes vérités, si elles se sont égarées dans l’erreur, il appartient aux hommes de talent de rechercher les preuves de ces vérités ou de ces erreurs, de confirmer ou de rectifier, de donner, à défaut d’une solution irrécusable, à défaut d’un de ces systèmes qui n’appartiennent qu’au génie, quelques opinions justes et plausibles ; ces fortes études d’ailleurs, lors même qu’elles laissent le doute, sont encore, au point de vue pratique, d’une évidente utilité.

C’est aussi pour arriver à une conclusion pratique que M. Hello, dans sa Philosophie de l’Histoire de France, a vivement abordé les abstractions. Son livre est une réponse adressée à ces esprits inquiets et mécontens qui se demandent : faut-il faire une révolution politique ou une révolution sociale ? Et pour les détourner de ce projet, il ne s’arrête pas à discuter le présent, mais il descend jusqu’au fond même du passé, et il cherche à démontrer que les révolutions politiques ou sociales ne sont pas le résultat imprévu, spontané, de quelques individus, et qu’avec toute l’audace, avec toute la conviction possible, on n’improvise pas une société à l’aide de quelques théories exceptionnelles ou aventureuses. La providence et l’activité libre de l’homme disposent et accomplissent les évènemens. Le concours de cette double action, dans la destinée des peuples, est incontestable et peut seul donner le mot du mystère humain. M. Hello, dans la question du bien-être social, se place ainsi au même point de vue que les théologiens orthodoxes dans les questions de la grace, et le fait, dans le monde politique, est en quelque sorte l’adhésion volontaire de l’homme aux décrets éternels, comme l’acte, dans le monde moral, n’est que la libre adhésion de la volonté aux incitations de la grace. Entre l’action divine et l’action humaine, il y a cette différence que l’action humaine est perceptible aux contemporains, tandis que l’action divine ne l’est pas. Mais s’il ne nous est pas donné de voir clairement dans l’époque même où nous vivons, notre vue devient plus puissante quand nous examinons le passé. Dieu se révèle, et l’historien philosophe peut le démontrer par la formation et l’accroissement des sociétés, comme Fénelon, Clarke, l’ont démontré par les merveilles de la création. M. Hello, à l’appui de son système, parcourt rapidement, quoiqu’avec détail et en s’appuyant autant que possible sur les faits, les diverses phases par lesquelles a passé la société française. Il signale d’abord la différence qui sépare le monde ancien et le monde moderne, et cette différence, c’est, selon lui, que le rôle providentiel est plus évident, plus actif dans les sociétés modernes, et que la condition de ces sociétés est par cela même plus vraie, plus morale, plus durable. Voyez Rome, elle porte en elle comme un germe fatal de mort, et le bien n’enfante pas le mieux. Pourquoi ? parce que l’œuvre, la pensée humaine, le but humain, dominent sa destinée.