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sait, les révolutions ont toujours été plus religieuses que politiques. C’est l’esprit presbytérien qui commença la révolution de 1640, et l’esprit indépendant qui l’acheva. C’est l’esprit protestant qui, de 1660 à 1688, mina le trône des Stuarts et finit par le renverser. Vers la fin du dernier siècle encore, quand la lutte politique restait renfermée dans l’enceinte parlementaire, la lutte religieuse agitait les rues et promenait dans Londres le meurtre et l’incendie. Enfin la grande querelle qui, depuis dix ans, absorbe l’attention publique, la querelle irlandaise, a un caractère religieux. Y a-t-il lieu de craindre pourtant que la question religieuse prise en elle-même, et indépendamment des intérêts politiques qui s’y rattachent, puisse aujourd’hui troubler l’Angleterre ? Je ne le pense pas, et il me suffira de peu de mots pour établir et justifier mon opinion.

Il y a dans le protestantisme ceci de remarquable, que sa méthode et sa doctrine sont en contradiction manifeste et se combattent en quelque sorte l’une l’autre. Ainsi la méthode du protestantisme, celle à l’aide de laquelle il répudia l’autorité du pape et fonda un culte nouveau, c’est l’examen libre et individuel. Sa doctrine au contraire, celle que ses plus grands docteurs ont prêchée, c’est la négation de la liberté humaine, et son absorption dans une sorte de fatalité divine. Mais une religion, comme une philosophie, vit par sa méthode plus encore que par sa doctrine, et il était interdit au protestantisme d’enchaîner de nouveau l’esprit humain après l’avoir aidé à s’affranchir. Une fois l’autorité et l’unité catholiques brisées, il devenait donc inévitable que le protestantisme, livré à lui-même, se fractionnât et se décomposât, pour ainsi dire, en une multitude de sectes ennemies ou rivales. Il devenait inévitable, par contre-coup, qu’effrayés de cette agitation, les esprits les plus timides rentrassent dans le sein du catholicisme, comme dans un port, tandis que les esprits les plus hardis se laisseraient entraîner graduellement au-delà même des limites du christianisme.

C’est ce qui est arrivé partout où le protestantisme a régné. En Angleterre, à la vérité, l’établissement d’une église officielle richement dotée et investie de puissantes prérogatives a pu, pendant longtemps, lutter contre le cours naturel des choses et modérer le mouvement ; mais, depuis quelques années, l’église officielle décline sensiblement, comme le prouvent les plaintes amères qu’elle ne cesse de faire entendre. Ainsi, en Angleterre même et dans le pays de Galles, le nombre des dissidens est au moins égal à celui des anglicans, et les catholiques qui, d’après le recensement de 1767, attei-