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liques. La supériorité de l’Angleterre sur l’Irlande et du protestantisme sur le catholicisme devint donc le mot d’ordre du parti tory, mot d’ordre qui retentit partout d’un bout du royaume à l’autre, dans le parlement et sur les hustings, à table et dans la chaire. Est-il nécessaire d’ajouter que, dans cette croisade, le clergé anglican se fit remarquer par l’âpreté de son zèle et l’ardeur de son langage ? Ainsi, d’ailleurs, qu’on devait s’y attendre, le point de mire fut O’Connell, personnification éclatante de l’Irlande et du catholicisme ; O’Connell, tribun fougueux, mais homme politique mesuré, et devenu, par sa situation et par son talent, l’allié nécessaire du cabinet et la pierre angulaire de la majorité. Il fut donc entendu que lord Melbourne était l’esclave d’O’Connell, qu’O’Connell seul gouvernait sous son nom, et que l’Irlande catholique, à peine échappée de ses fers, tenait l’Angleterre protestante sous ses pieds. Et comme O’Connell, acceptant hardiment le rôle qu’on lui faisait et le défi qu’on lui jetait, allait tantôt en Irlande, tantôt en Angleterre, faire entendre aux masses une voix éloquente et souvent injurieuse, on n’eut pas de peine à persuader aux crédules que l’ami, le protecteur, le maître du cabinet travaillait à l’asservissement de l’Angleterre et à la restauration du papisme.

On comprend maintenant comment les élections de 1834 et de 1837 furent si favorables au parti tory ; on comprend comment, tandis que l’Irlande s’attachait de plus en plus au gouvernement de lord Melbourne, il s’opéra en Angleterre une réaction chaque jour plus visible contre ce gouvernement. Ce n’est pas contre lord Melbourne et lord John Russell, partisans modérés et prudens des réformes politiques, que se prononçaient beaucoup d’électeurs, jadis amis des whigs, aujourd’hui alliés des tories, mais contre O’Connell, Irlandais et catholique. Si l’on n’a pas sans cesse cette distinction sous les yeux, on ne peut se faire une juste idée de l’état réel des partis.

Maintenant, qu’arriva-t-il au commencement de 1839 ? Le voici. Le parti tory, fier de ses succès passés, se montrait plus audacieux que jamais, et mettait chaque jour le ministère à deux doigts de sa perte. D’un autre côté, quelques radicaux semblaient déterminés à se séparer et à former un petit groupe dont l’hostilité n’attendait, pour éclater, qu’une occasion favorable. L’ancien lord chancelier, lord Brougham, définitivement rallié à l’opposition, déversait en même temps à pleines mains sur ses ex-collègues tout ce que peuvent avoir de plus poignant le sarcasme et le dédain, tandis que l’ancien gouverneur du Canada, lord Durham, gardait une attitude silencieuse et