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L’ANGLETERRE ET LE MINISTÈRE WHIG.

sorerie. On ne peut, si l’on n’a lu avec attention les journaux anglais pendant l’intervalle des deux sessions, se faire une juste idée de la démence qui à cette occasion parut s’emparer du parti tory tout entier. Cantorbery, c’est un membre de la chambre des communes, M. Bradshaw, qui, enchérissant encore sur lord Lyndhurst, dénonce le peuple irlandais comme « un ramas de sauvages bigots à peine plus civilisés que les indigènes de la Nouvelle-Zélande. » Ailleurs, c’est sir Robert Hill, qui, dans un meeting présidé par le comte de Bradford, fait adopter une résolution portant que « le papisme, en raison de l’idolâtrie, de l’intolérance et de la perfidie qui en sont inséparables, peut être comparé à l’antique Jesabel, et que l’encourager en Angleterre, c’est violer les commandemens de Dieu et compromettre la sûreté du pays. » Ce sont en même temps, plus de dix ans après l’émancipation catholique, des pétitions furibondes pour demander le rétablissement des anciennes lois pénales avec toutes leurs rigueurs. Les outrages des tories ne s’arrêtent point aux Irlandais, aux catholiques, aux ministres. Ils remontent jusqu’à la reine elle-même, qui se voit chaque jour insultée et calomniée. À entendre les orateurs, à lire les écrivains tories, la cour est « un lieu pestilentiel dont l’ordure doit dégoûter tous ceux qui savent distinguer la vertu du vice et la pureté de l’impureté. » On ajoute que « l’innocence est bannie du palais, tandis que le vice, assis à la table royale, s’y livre aux plus honteuses orgies. » Au dîner annuel des conservateurs dans le South-Derby, un ministre anglican, le révérend Chandos Pole, va plus loin encore. « L’archevêque de Cantorbery, dit-il, a reçu un outrage à la cour. Il ne faut pas s’en étonner. L’admission dans un tel lieu d’un si vénérable prélat pourrait gêner les grossières débauches dans lesquelles se vautrent les familiers corrompus du palais. » Pendant ce temps, un autre ministre, par une allusion claire et frappante, flétrit la reine du nom de Jesabel, et s’écrie que jusqu’au jour de sa mort le protestantisme n’aura pas de repos. À ces fanatiques attaques il s’en joint de plus étranges encore, surtout de la part des tories. Ainsi le principe monarchique lui-même est contesté, l’abdication forcée de Jacques II rappelée avec complaisance, et un membre du parlement proclame tout haut que « le peuple anglais ne se laissera pas abaisser et dégrader pour le bon plaisir d’une créature humaine. »

Dans la bouche des chartistes ou des socialistes, ces furieuses déclamations auraient pu agiter le peuple. Dans la bouche des tories, elles ne rencontraient au sein des masses qu’indifférence et dégoût ;