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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

Le docteur a conservé le costume des professeurs et des avocats de Bologne. Comme Pantalon, il est accusé de lésinerie, et le masque qui lui couvre le nez et le front a été imaginé pour rappeler une énorme tache de vin qui s’étendait sur le visage d’un jurisconsulte du temps ; c’est du moins l’explication traditionnelle que les annalistes de la comédie populaire nous ont conservée. Depuis plus d’un siècle, le docteur a bien passé de mode ; Venise et Milan l’ont à peu près banni de leurs théâtres ; c’est à Bologne, sa ville natale, qu’il s’est réfugié ; c’est là qu’on le voit encore.

Le Docteur et Pantalon, malgré la morgue et le sérieux qu’ils affectent, ont, de tout temps, prêté à rire à leurs concitoyens. Les Bolonais et les Vénitiens se moquent de leur avarice, et les appellent pince-mailles, claque-dents, docteur rince-pot, Pantalon pleure-pain ; ils les représentent, lorsqu’ils se mettent en débauche, assis à une table rase, mangeant de la soupe de lévrier, buvant du vin clairet puisé à la fontaine du coin, et se régalant d’un œuf de canne dont ils gardent le jaune pour eux, donnant le blanc à leur femme et l’eau lactée à leurs enfans, repas qui, à ce qu’ils assurent, n’engendre ni crudités ni pesanteurs de l’estomac. Les mauvais plaisans racontent en outre plusieurs folles histoires dont ces deux masques ont été les héros, ou plutôt les victimes. Pantalon surtout joue particulièrement de malheur. Pantalon a tous les petits préjugés, et, sous certains rapports, toute l’ignorance de ses concitoyens du quai des Esclavons, qui se hasardent si rarement sur la terre ferme, et pour lesquels un arbre, une voiture, un cheval, sont autant de merveilles. Pantalon a cependant roulé souvent d’une ville à l’autre, en compagnie des bateleurs, ses confrères, dans quelque mauvais carrosse de louage ; mais il n’est jamais monté qu’une seule fois à cheval, et quand, par des circonstances indépendantes de sa volonté, il s’est trouvé au beau milieu de la route étendu sur le dos, il a juré par saint Marc qu’on ne l’y reprendrait plus. Cette seule promenade à cheval, terminée d’une façon si malencontreuse, fut remplie d’incidens curieux, que les habitans de la terre ferme racontent avec un sourire goguenard, et qu’ils se plaisent sans doute à embellir. La rosse d’emprunt que Pantalon montait ce jour-là s’était arrêtée tout court ; Arlequin, son valet, lui donna une telle volée de coups de bâton, que le pacifique animal, poussé à bout, lui allongea une terrible ruade dans le ventre. Arlequin, furieux, ramassa une pierre et la jeta au cheval ; mais le maladroit ajusta si mal, qu’au lieu de toucher la bête, cette pierre frappa son maître au milieu du dos. Pantalon se retournait en mau-