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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/711

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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

de Bergame, ceux-ci résolurent de se venger d’une façon qui leur fît honneur. Ils envoyèrent donc une députation à Florence, chargée d’un singulier cartel. Cette députation, s’étant rendue dans la salle de l’académie, parla en ces termes à ses membres convoqués : « Vous nous traitez d’imbécilles et vous vous croyez plus savans que nous ; eh bien ! nous venons vous proposer une joûte d’esprit en champ clos ; Bergame sera le lieu du combat, les Vénitiens et les Bolonais seront nos juges. » Les Florentins relevèrent avec un mépris qu’ils ne s’efforçaient pas même de dissimuler le gant jeté par les Bergamasques. Il fut convenu qu’une députation de savans florentins se rendrait à Bergame et y disputerait sur les matières les plus subtiles, sur les points de la science les plus délicats, avec un nombre égal de savans de cette ville.

La veille du jour fixé pour le combat, et lorsqu’on sut que les docteurs florentins étaient en chemin, les Bergamasques, qui avaient proposé le défi, réunirent toutes les personnes les plus instruites de leur ville, toutes celles qui parlaient latin ou grec. Ils firent prendre aux uns des habits de paysans, aux autres des costumes de valets, de cabaretiers ; les jeunes gens qui n’avaient pas encore de barbe au menton, s’habillèrent en servantes d’auberges. Sur ces entrefaites, on annonce que les Florentins vont arriver. Tous nos comédiens improvisés, parfaitement au courant de leurs rôles, se portent sur la route, dans les cabarets et les hôtelleries, et remplissent les premières auberges de la ville.

Les Florentins, richement vêtus et montés sur des mules fringantes, cheminaient déjà vers Bergame. L’un d’eux voit au bord de la route un gros paysan qui bêchait la terre. — Combien de milles y a-t-il encore d’ici à la ville ? lui demande-t-il d’un ton moqueur, en contrefaisant de son mieux l’idiome pesant des Bergamasques. — Trois milles, lui répond le paysan en excellent latin. Arrivés en vue de Bergame, les députés font halte dans un village peu distant des faubourgs, avec l’intention de se rafraîchir et de se reposer quelques instans avant de faire leur entrée dans la ville. Ils frappent à la porte d’une petite auberge ; l’hôte s’empresse d’ouvrir, leur fait ses complimens en style cicéronien, et cite Horace et Anacréon en remplissant leurs verres. Le garçon d’écurie, auquel ils donnent leurs mules à garder, leur répond en latin ; la servante, qu’un des jeunes savans lutine et veut embrasser, s’enfuit en laissant échapper quelques imprécations dérobées à une héroïne de Sénèque. Les Florentins, ébahis se regardaient l’un l’autre. — Si la canaille de Bergame s’ex-