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Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/721

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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

qu’un canevas que chacun remplit à sa guise, est pleine d’un bout à l’autre de folies plus ou moins divertissantes, et les grossièretés y abondent. Cependant, au fond de toutes ces scènes de parade, dignes des tréteaux de la foire, on rencontre par instans de ces coups de pinceau inattendus, de ces traits de satire philosophique qui distinguent la plupart des vieilles farces populaires, et qu’on croirait dérobés à Machiavel ou à Rabelais : témoin ce dialogue d’Arlequin empereur et du Docteur.


Le docteur. — Oserais-je demander à votre hautesse de quelle humeur sont vos sujets ?

Arlequin. — Mes sujets, ils sont quasi sans défauts, si ce n’est que l’intérêt et l’ambition seuls les gouvernent.

Le docteur. — C’est tout comme ici.

Arlequin. — Chacun tâche de s’établir du mieux qu’il peut aux dépens d’autrui ; et la première des vertus dans mes états, c’est d’avoir beaucoup d’argent.

Le docteur. — C’est tout comme ici. Et dans votre empire, seigneur, fait-on bonne justice ?

Arlequin. — On l’y fait à peindre.

Le docteur. — Les juges ne se laissent donc pas un peu corrompre ?

Arlequin. — Les femmes comme ailleurs les sollicitent, leur font parfois de petits présens ; leur conscience sait ce qu’il en advient ; mais, à cela près, tout se passe dans l’ordre.

Le docteur. — C’est encore tout comme ici !…


Au commencement de la pièce, Arlequin, qui n’a pas encore eu l’heureuse idée de se faire empereur de la lune, apprend que le Docteur veut marier Colombine, sa servante, à un fermier ; il se désole dans un fameux monologue, qui est le triomphe et la pierre d’achoppement des acteurs qui jouent ce rôle.

« Malheureux que je suis ! le docteur veut marier Colombine à un fermier, et je vivrais sans Colombine ! non, je veux mourir. Docteur ignorant ! ingrate et inconstante Colombine ! misérable fermier ! déplorable Arlequin ! oui, je veux mourir ; je veux qu’on lise dans l’histoire ancienne et moderne : Arlequin est mort pour Colombine. Allons dans ma chambre ; j’attacherai une corde au plafond, je monterai sur une chaise, je me passerai un nœud coulant autour du cou, je donnerai un coup de pied à la chaise, et me voilà pendu. Ouf ! (Il prend la posture d’un pendu.) — Mais fi donc, Arlequin, vous tuer pour