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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

enlever le corps ; tu entends ? Ainsi donc, à ce soir. — À ce soir. — Et Pantalon, qui a peine à cacher son émotion, s’éloigne l’oreille basse. Dès qu’il est dehors, le comte appelle Arlequin et le met au courant. — Tu transporteras le corps de Meneghino dans quelque caveau, lui dit-il, et tu prendras sa place dans le lit. Tu sais ensuite ce que tu auras à faire quand tu te trouveras en tête-à-tête avec Pantalon, ton veilleur ; mais je te préviens d’une chose, c’est que nous voulons rire. — Vous rirez, et comme vous n’avez jamais ri ; moi-même j’en ai déjà mal à la rate.

Le comte ne s’arrête pas en si beau chemin ; il veut, comme il le dit, prendre trois dindons avec la même noix. Deux dindons sont déjà trouvés ; Brighella, son homme d’affaires, sera le troisième. — J’ai quelque part dans mes greniers la défroque d’un diable : tête de lion, museau de crocodile, peau de bouc, pied de satyre, queue d’âne, rien n’y manque ; Brighella, mon ami, tu endosseras ce costume, et tu descendras par une fenêtre dans la chambre où Pantalon sera occupé à veiller Meneghino. Ton arrivée causera certainement une agréable émotion à ce brave Pantalon, et cette émotion ne peut manquer de nous divertir tous, et toi le premier. — Brighella est ravi du rôle qu’on lui donne ; il se frotte les mains en songeant au bon tour qu’il va jouer à Pantalon, son rival, et à la belle peur qu’il va lui faire. Le comte, de son côté, rit sournoisement dans sa barbe, car il s’est bien gardé de dire à Brighella qu’Arlequin devait prendre la place du mort et de prévenir Arlequin que Brighella devait compléter la comédie et jouer le rôle du diable. Il est si content, il se promet tant de plaisir de la merveilleuse combinaison qu’il vient d’imaginer, qu’il embrasse Stefano, et que tous deux chantent en chœur de vifs et joyeux couplets qui terminent ces premières scènes.

L’acte suivant se passe dans la chambre de Meneghino. Arlequin, enveloppé d’un grand drap et tout barbouillé de blanc, est couché sur le lit du mort ; il n’est rien moins que rassuré, il a même très peur, et, par momens, il se tâte pour s’assurer que réellement il n’est pas mort. Du reste, il se propose bien de se venger tout à l’heure de sa peur sur le pauvre Pantalon, dont la présence le rassurera. Cependant, comme Pantalon tarde à venir, il se livre à des réflexions philosophiques que lui inspire son étrange position. — Aujourd’hui, dit-il, je fais le mort pour rire, mais un jour viendra où je le ferai au naturel ; ce jour-là on me portera au cimetière pour engraisser les raves ; encore si je pouvais les manger… — Sur ces entrefaites Pantalon arrive. — Va-t-en, dit-il à un homme qui l’a accompagné jus-