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LE THÉÂTRE EN ITALIE.

m’emporter tout vivant !… Si je pouvais, m’échapper ? — Il se soulève lentement, et, se glissant le long du mur, tâche de gagner la porte, lorsque tout à coup Brighella, toujours occupé à échauder Pantalon, se trouve nez à nez avec lui. — Satan ! Le mort ! — Et tous deux tombent à la renverse. — C’en est fait de moi, s’écrie Pantalon, et il tombe entre les deux. Mais bientôt tous trois se relèvent et courent par la chambre, comme des insensés, s’évitant, s’entre-choquant et se culbutant les uns les autres. — À moi, mes camarades, au secours ! au mort ! au diable ! au revenant ! — Quel diable est-ce là ? s’écrie Arlequin. — Qu’est-ce qu’un pareil mort ? reprend Brighella. À la fin, les trois braves s’arrêtent chacun dans un coin, à demi morts de fatigue, et se regardent d’un air consterné. Pantalon beugle, Arlequin gémit, le diable hurle. Dans ce moment, le comte Ambrogio, suivi de ses amis, ouvre la porte, et s’élance au milieu de la chambre en riant aux éclats. — Taisez-vous, poltrons, dit-il, taisez-vous, ou je vous fais tous bâtonner.


Brighella. — Je suis mort !

Arlequin. — Je n’ai plus ni jambes ni rate !

Pantalon (se tenant le ventre). — Miséricorde, quelle colique !

Arlequin. — Voyez le mort !

Brighella. — Voyez le diable !

Pantalon. — Voyez-les tous deux.

Le comte. — Encore un coup, taisez-vous, misérables poltrons, ou je vous fais taire avec ce gourdin. Qui croirait jamais qu’un mort fasse peur au diable, et que le diable fasse peur à un mort ? Et toi, intrépide Pantalon, qu’as-tu donc fait de ton courage ?

Pantalon. — Vous en parlez bien à votre aise, seigneur comte ; j’aurais voulu vous voir entre un diable et un mort.


Il est impossible de faire comprendre par une analyse toute la folie de cette scène, qui rappelle d’une manière éloignée l’entrevue des deux ours dans l’excellente farce de l’Ours et le Pacha. Jouée par ces acteurs un peu grossiers, mais pleins de verve, que l’on rencontre à chaque pas en Italie, elle est toujours accueillie par un fou rire, et met le spectateur en belle humeur pour toute la soirée. Le dialogue qui accompagne la reconnaissance des trois masques est aussi fort comique. Ils s’en veulent l’un l’autre de la peur qu’ils se sont réciproquement faite, au point qu’ils en vont venir aux mains. Ils s’injurient, se menacent, et le comte est obligé d’interposer son autorité. — Vous tairez-vous, bavards, s’écrie-t-il de nouveau ; ces drôles-