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que difficilement à passer une soirée tout entière avec des gens de cette espèce ; leur manque d’usage déplaît, il n’amuse pas. C’est bien là ce ridicule bas et fade que La Bruyère proscrit de la scène.

Voyons quels sont ces personnages : Camille, la jeune femme, sur laquelle l’auteur a voulu concentrer tout l’intérêt, met des colliers en gage pour jouer au pharaon, ne pense qu’à la belle robe qu’elle doit mettre le soir, et s’entend avec sa femme de chambre pour tromper son mari. Lorsqu’elle a enfin décidé celui-ci à la conduire au bal, veut-on voir dans quel style elle s’en félicite : « Apprends, dit-elle à sa servante, apprends que j’ai déployé tout notre savoir-faire dans l’art de mener les hommes. Cris, larmes, plaintes, désespoir, j’ai tout employé. Qu’est-ce que cela coûte si on arrive à ses fins ? » Il n’est pas surprenant que Camille se laisse, à peu de chose près, séduire par un homme de mauvaise compagnie, qui ne l’aime pas, et qui lui tient effrontément des discours qu’une sotte ou qu’une femme galante peut seule écouter. « Si, dans le commencement, vous craignez de rendre votre mari jaloux, lui dit-il, c’est fait de vous. Vous ne pourrez même plus sortir quand vous voudrez. Votre mari sera votre tyran, et vous tiendra dans une sorte d’esclavage perpétuel. Voyez donna Octavie, donna Eugénie, donna Hortense, chacune d’elles a son cavalier ; le monde applaudit à leur choix, et leurs maris, qui sont des gens d’esprit, loin de s’inquiéter de semblables bagatelles, laissent les choses suivre leur cours naturel. — Mon mari, lui, n’est pas de cette humeur-là. — Il y viendra, mais cela dépend de vous. » Le père est un brutal qui querelle sa fille sur les robes qu’elle achète, l’argent qu’elle perd au jeu et les gens qu’elle reçoit, et qui, sur l’assurance que lui donne la camériste que les hommes qui viennent voir sa maîtresse se tiennent assez éloignés d’elle pour que deux carrosses passent de front dans l’intervalle, s’apaise aussi facilement qu’il s’est irrité. Le mari lui-même, le personnage raisonnable de la pièce, est si maussade, si froidement calculateur, et en même temps si brusque dans sa manière de diriger sa femme, que l’on concevrait sans peine que celle-ci poussât les choses fort loin. Danville, dans l’École des Vieillards, est aussi quelque peu chagrin ; mais cette humeur est de son âge, et sa sévérité est rachetée par un grand fonds de tendresse et de bonté ; il s’emporte, mais il revient sur-le-champ. Fulgence, plus jeune, est toujours de sang-froid. Lorsque sa femme, poussée à bout par son calme et sa dureté, s’écrie : Vous me mettez en fureur ! — loin de s’échauffer et de s’irriter comme elle, il se contente de lui dire : — Je