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C’était près de la mer. Aréthuse, toute fille du fleuve Nérée et toute fontaine qu’elle était, ne continua pas moins de fuir pour échapper aux torrens que répandait le fleuve amoureux, et qu’il voulait mêler à ses ondes. Alphée la poursuivit, et s’engouffrant près d’Olympie, il roula sur ses traces à travers la mer jusqu’à l’île sicilienne d’Ortygie, un des domaines de Diane, où Aréthuse avait trouvé un refuge. L’Alphée coule en effet à peu de distance du grand port de Syracuse, où la fontaine d’Aréthuse verse ses eaux en oubliant la prière de Virgile, qui la suppliait, en si beaux vers, de ne pas laisser altérer sa virginité par le contact des flots de la mer d’Ionie[1]. L’Alphée de Syracuse, il est inutile de vous le dire, n’a rien de commun avec celui qui se perd près d’Olympie en Grèce ; mais c’est une délicieuse fiction, une superstition presque respectable, que celle qui rattachait les fontaines et les fleuves, ces charmes de la patrie absente et regrettée, aux eaux qui rafraîchissaient le sol d’exil de la patrie nouvelle où s’étaient confinés les colons venus de la Grèce pour fonder Syracuse.

Quant à la pureté d’Aréthuse, elle a cruellement souffert, d’abord des infiltrations de la mer, que de nombreux tremblemens de terre ont conduite par mille canaux souterrains vers la source, dont les ondes ont pris une exhalaison saline ; puis de mille autres genres de profanation. En passant vite devant quelques mauvais lieux, au seuil desquels se montrent des nymphes peu dignes de vivre dans un lieu consacré à Diane, on se trouve près d’un haut parapet demi-ruiné, qui surmonte un réservoir triangulaire rempli d’une eau souvent bourbeuse. On est tenté de s’éloigner en toute hâte de cet égout, mais le guide vous arrête. C’est le lieu que vous cherchez, c’est là ce qu’ont chanté Pyndare, Bion, Moschus et Virgile ! C’est en faveur de ce fossé fangeux, et des souvenirs qui s’y attachaient, qu’un vainqueur irrité épargna Syracuse ! L’aspect en est affreux. Tantôt des tanneurs y trempent leurs cuirs, tantôt des lavandières, malheureusement nues, et qui rappellent plus les commères des dialogues de Théocrite que les bergères de ses idylles, y battent en cadence des guenilles ; d’autres fois de lourds aquajoli viennent y puiser l’eau nécessaire à la consommation des bourgeois de la ville. Et pour comble d’abaissement et d’humiliation, une autre source, qu’on nomme l’Œil de

  1. Extremum hunc, Arethusa, mihi concede laborem.
    Sic tibi
    , etc.

    (Egl. X.)