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couleur d’or d’une délicatesse infinie, que le vent fait doucement écheveler. Ces plantes, qui ont déjà plus de six pieds du lit de la rivière jusqu’à sa surface, la dépassent encore souvent de dix pieds. Celles qui ont cette dimension offrent presque la grosseur du bras à leur racine. La vue de ce géant végétal étonne même dans la Sicile, où les yeux sont cependant habitués aux productions des latitudes torrides. On sent qu’une autre nature que celle de la Sicile méridionale et du nord de l’Afrique a déposé là ce produit inconnu. On consulte ses souvenirs, on s’interroge, et quand le peu de science botanique qu’on possède est en défaut, on se tourne vers les matelots qui semblent attendre fièrement votre question, et qui prononcent tous à la fois d’un air de triomphe le nom de papyrus !

On croit que ces plantes de papyrus furent envoyées d’Égypte par Ptolémée Philadelphe, à Hiéron, avec qui il entretenait des relations amicales. En Égypte, on se servait de la moelle spongieuse de cette plante gigantesque pour fabriquer le papier qu’on trouve en si grande abondance dans les tombeaux. Le cavalier Landolina a fabriqué du papier avec les papyrus de la rivière Cyane, et il a écrit sur ce papier une circulaire aux savans pour leur faire part de la réussite de son procédé ; mais le papier ne manque pas en Europe, et les produits de l’industrie du cavalier Landolina ne seront jamais qu’une affaire de curiosité archéologique.

Je m’arrachai de Syracuse, où les ruines et les souvenirs de l’antiquité commençaient à m’intéresser trop, à mon gré, et je pris la route de Noto, mu par un sentiment de curiosité bien différent. Le calme commençait à renaître en Sicile, et il ne restait plus qu’un seul centre d’agitation dans la vallée de Modica, où s’était réfugié, disait-on, le marchesino de Saint-Julien, fils du chef, volontaire ou non, du mouvement politique de Catane. Une sorte de guérilla, composée de jeunes nobles et de paysans, s’était formée dans cette petite vallée peu distante du cap Passero, le dernier point méridional de la Sicile, du côté de l’Afrique. En peu d’heures, on peut se rendre, de ce cap ou de la pointe de Palo, à Malte. Le désir de voir de mes yeux la fin de cette insurrection, dont j’avais vu, par hasard, le berceau, m’entraînait irrésistiblement. Je me remis donc en route, et je suivis la plaine sablonneuse et inculte qui se prolonge le long de la mer jusqu’à Noto. L’ancienne Nectum était, comme je vous l’ai dit, remplie de magistrats et de fonctionnaires qui cherchaient un toit pour abriter leurs têtes. Sans m’y arrêter, je pris à travers les montagnes, pour me rendre à Modica, une route moins directe que celle qui passe par