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POLITIQUE EXTÉRIEURE.

compté sur lui. Elle est entourée, elle aussi, de serviteurs que l’ingratitude d’Espartero a blessés profondément, et qui ne cesseront pas de le représenter comme un traître et comme un rebelle. La duchesse de la Victoire avait excité, pendant sa haute faveur, les jalousies de toute la cour ; ces jalousies ne pardonnent pas, et elles ont déjà tout mis en œuvre pour envelopper la duchesse dans la disgrace de son mari, et rompre ainsi l’unique lien qui aurait pu rapprocher la reine d’Espartero.

Toutes les probabilités sont donc pour une lutte entre le gouvernement de la reine et le généralissime. Avant les évènemens de Barcelone, cette lutte eût été impossible ; depuis ces évènemens, les chances sont plus égales. Dans tous les cas, ce sera un terrible jeu que celui-là, et il serait bien à désirer que l’Espagne en pût être préservée ; mais enfin, puisque tout l’annonce, il est bon de l’envisager d’avance de sang-froid. La victoire des exaltés n’est plus possible maintenant que par une révolution qui supprime la royauté ; ils ne se serviront d’Espartero que dans ce but, et comme il leur a déjà échappé une fois au dernier moment, ils prendront leurs mesures pour s’assurer de lui ou se passer au besoin de son concours. Ce sera donc d’une révolution qu’il s’agira si la lutte s’engage, que le généralissime y consente ou non.

Espartero espère toujours se borner à faire le Walstein, et à se créer, à côté du gouvernement régulier, une sorte de principauté militaire indépendante. Il ne le pourra pas long-temps. Déjà les inspirations de son état-major lui ont fait prendre une attitude qui a quelque chose de ridicule à force d’être audacieuse. On sait que les révolutionnaires espagnols mêlent toujours la France dans leurs déclamations contre le gouvernement de leur pays, et qu’ils aiment à confondre dans la même répulsion le nom de la reine Christine et celui du roi Louis-Philippe. Pendant les évènemens de Barcelone, Linage et les siens disaient hautement que, si le gouvernement français faisait mine de vouloir soutenir la reine, cinquante mille Espagnols paraissant sur la crête des Pyrénées, et prononçant le mot de république, mettraient aussitôt la France en feu. Il paraît que ces belles imaginations ont gagné Espartero lui-même, car il groupe depuis quelque temps ses divisions sur la frontière de France, avec une affectation qui a déjà excité quelques alarmes dans la population des Pyrénées-Orientales.

Cette démonstration est si folle, qu’elle ne mériterait pas qu’on en fit mention, si elle n’était l’indice de l’état d’esprit du généralis-