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REVUE. — CHRONIQUE.

et, comme l’a dit M. Guizot avec cette netteté d’expression qui le caractérise, la paix du monde sera livrée aux incidens et aux subalternes.

Le blocus, le bombardement ! mais si le pacha irrité, fatigué, se résout à jouer le tout pour le tout et donne à Ibrahim l’ordre de franchir le Taurus, s’il sollicite le fanatisme musulman et couvre le territoire de l’empire de révoltes et d’insurrections, que feront les vaisseaux de la Grande-Bretagne ? Hélas ! ils iront prendre des cargaisons de Russes pour les porter en Égypte, en Syrie, que sais-je ? En même temps une armée moscovite marchera sur Constantinople.

« Cela n’arrivera pas. » Il faut l’espérer ; mais cela peut arriver, grace à votre traité. C’est là le résultat net de la politique de lord Palmerston ; il n’y en a pas d’autres. Jusqu’ici la paix du monde était entre les mains des cabinets européens ; disons-le, avant tout, elle était entre les mains de l’Angleterre et de la France. Aujourd’hui elle est tout entière entre les mains d’un Turc, d’un pacha qui, dans un coin de l’Afrique, peut calculer à son aise toutes les chances que lui présente une conflagration générale de l’Occident et de l’Orient. Et ces chances ne seraient pas à mépriser pour lui !

Cette remarque, qui est le point vital de la question, ne nous appartient pas. Espérons que ceux à qui elle a été faite avec une autorité et une force que nous ne saurions lui rendre, en feront leur profit et ne voudront pas nous faire répéter encore une fois le mot du chancelier suédois.

Au reste, l’énormité de l’intervention russe, que le pacha passe ou non le Taurus, paraît aujourd’hui reconnue par tout le monde. C’est là, ce nous semble, le fait caractéristique de la situation ; c’est là ce qui la rend en réalité stationnaire, pour le moment du moins.

Les Anglais, whigs, tories ou radicaux, peu importe, à l’heure qu’il est, ne veulent pas entendre parler de l’emploi des troupes russes comme moyen coërcitif.

L’Autriche et la Prusse, à leur tour, ouvrent les yeux sur les résultats que pourrait avoir pareille intervention, et sont loin d’y consentir.

La Russie elle-même ne paraît pas très pressée d’arriver à ce dénouement.

L’attitude de la France modifie profondément la question. S’il faut porter ses regards du Rhin à Beyruth, en passant par Varsovie et Constantinople, la ligne est longue, et il vaut même pour la Russie la peine d’y penser long-temps.

Bref, dans ce moment nul ne désire ou n’ose employer les Russes pour l’exécution du traité.

Dès-lors, encore une fois, que devient cette fameuse convention, cette convention pour laquelle lord Palmerston n’a pas craint de porter à l’alliance française une si rude atteinte ?

Il reste cependant à lord Ponsonby et à lord Palmerston une espérance, nous le croyons, l’espérance de ranimer l’insurrection de la Syrie. Les agens russes et anglais vont se mettre à l’œuvre pour exciter des troubles et provoquer des massacres ; quelques armes, quelque argent, seront jetés sur les