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ménager la transition. Dans les colonies anglaises, la liberté de la presse existe presque sans frein ; mais elle existe de fait seulement, non de droit. Les gouverneurs ont pouvoir de supprimer tout journal dont la tendance leur paraît contraire aux intérêts de la colonie. Cette faculté, fort difficile à exercer, est devenue illusoire, Aussi la presse locale, dans les colonies anglaises, a-t-elle fait peut-être plus de mal que de bien à la cause de l’émancipation, précisément parce qu’elle a trouvé son principal aliment dans les passions des planteurs. En raison de l’absence des classes moyennes dans les colonies et de la misère des autres classes, la presse se trouve placée dans des conditions tout-à-fait différentes de celles que l’on peut trouver dans la société européenne. Il faut donc tenir compte de cette différence. Mais, entre le silence absolu imposé par une censure sévère et la liberté de tout dire donnée à tout citoyen remplissant quelques conditions financières, il y a bien des degrés.

Au surplus, en ce qui concerne la nécessité de l’émancipation dans les colonies françaises, déduite de l’état des esprits et des affaires, il est notoire que les témoignages ont été unanimes. C’est le mode d’émancipation qui est désormais le seul point à débattre dans la question des noirs. Trois idées principales ont cours dans les discussions ouvertes à ce sujet.

Personne ne songe d’abord à une perturbation violente de la société coloniale ; personne ne songe non plus à détruire l’esclavage sans y substituer un régime de transition destiné à donner au noir l’éducation religieuse qui lui manque entièrement dans nos colonies, et à préparer à la fois le maître et l’esclave au nouveau régime dont ils ont besoin l’un et l’autre de faire l’apprentissage. C’est par ce dernier point surtout que l’émancipation anglaise a péché. Elle n’a pas prévu les difficultés qui seraient suscitées par le mauvais vouloir de l’ancien maître et par sa propre inexpérience des voies et moyens d’un régime de travail salarié. La France est suffisamment avertie pour prévoir.

Aussi le mode d’émancipation proposé par la commission de la chambre des députés, et qui a prévalu jusqu’ici, s’écarte-t-il entièrement de l’apprentissage anglais. Il s’agit d’opérer immédiatement la rupture de tout lien de domination du maître sur l’esclave, et de racheter le noir pour le compte de l’état. Une équitable compensation pécuniaire serait donnée à l’ancien maître. L’état se chargerait alors de conduire graduellement l’ancien noir à la liberté civile, par l’éducation religieuse et en lui donnant les habitudes de famille et de travail. Les services de l’ancien esclave, devenu ouvrier pour son propre compte, mais sous la tutelle de l’état, seraient loués aux planteurs. Dans ce système, le rôle de l’ancien maître serait purement agricole et industriel : il n’aurait plus d’influence sur le sort moral de l’ancien esclave remis aux mains plus compétentes de l’état et du clergé.

Un autre mode d’émancipation générale a été conçu sur un principe opposé. Ici l’indemnité destinée à représenter la valeur en capital du travailleur serait le point accessoire ; le principal dédommagement accordé au maître serait une continuation de travail gratuit et le maintien pour une période de vingt ans de sa tutelle sur l’ancien esclave. Le noir resterait attaché au sol de la