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attendre de la réforme, le remboursement d’une partie de son capital au moyen de l’indemnité, et l’adoption de bonnes mesures de police pour le maintien et l’organisation du travail.

Ce qu’il faut entendre par émancipation partielle, lorsqu’il s’agit d’un mode d’émancipation pris au sérieux, c’est le système qui a été proposé aux colonies par le ministère de la marine, après le rapport de M. de Rémusat, savoir, la sanction légale du pécule et du droit de rachat, moyennant des conditions fixes, indépendantes de l’arbitraire et du caprice de l’ancien maître. Un pareil mode, qui a le double inconvénient d’éluder le paiement intégral et en masse de l’indemnité, seule compensation suffisante au déplacement d’intérêt qui doit résulter de l’émancipation, et de rendre moins nécessaires les mesures de prévoyance pour l’organisation du travail, suppose encore le concours actif des planteurs. Les quatre conseils coloniaux, déjà consultés sur ces mesures d’émancipation partielle, s’étant trouvés d’accord pour les repousser, il n’y a pas lieu de compter sur ce concours, et par conséquent de faire essai du système pour lequel il est absolument indispensable.

Ainsi, des trois modes d’émancipation qui sont connus et proposés, le seul rationnel, c’est celui qui aboutit à une mesure d’ensemble entreprise et conduite par l’état, sauf établissement d’un régime intermédiaire. La direction de ce régime intermédiaire est sans doute une grave responsabilité ; mais il faut bien que quelqu’un la prenne, et le gouvernement est, en définitive, mieux en mesure que personne. Il doit néanmoins se préoccuper de toutes les difficultés d’une pareille tâche. Le mauvais vouloir des anciens maîtres quant à la location du travail pourra susciter beaucoup d’obstacles.

Il est douteux d’abord que les conseils coloniaux se montrent favorables à l’émancipation, ou même résignés devant la résolution qui leur est transmise. Ils ont été déjà consultés plusieurs fois, et l’on a vu l’esprit de résistance se développer chez eux en suivant une progression ascendante. Aussi la commission a-t-elle jugé qu’une nouvelle tentative serait superflue. Le ministère de la marine, qui a bien quelques reproches à se faire quant à la fermeté des avis qu’il aurait pu donner aux colons, ne voudra pas user de cette rigueur, et il est probable que les gouverneurs coloniaux recevront ordre de réunir les conseils, ou qu’il leur sera laissé pleine liberté à cet égard. Si un rayon de lumière pouvait éclairer ces populations, placées malheureusement trop loin du centre des opinions métropolitaines, et qui n’ont entre elles et la métropole que des interprètes au moins maladroits ; si elles consentaient à se départir d’une résistance sans profit pour entrer dans les voies de la conciliation, chacun y gagnerait, et les colonies elles-mêmes plus que personne. L’émancipation, opérée d’accord entre l’état et les planteurs, avec tout le profit qu’il est possible de tirer des résultats de l’expérience anglaise, ouvrirait pour les colonies une ère de sécurité, de crédit et de prospérité financière. Mais ne faut-il pas craindre le funeste effet des dispositions contraires déjà manifestées, et que trop de personnes ont intérêt à entretenir ?

Il faut toujours prévoir ces résistances et envisager la réforme coloniale