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JOURNAL D’UN OFFICIER DE MARINE.

village de Passig, qui a donné son nom à la rivière ; de grands bateaux, aussi étranges de formes et aussi bizarrement peints que les jonques chinoises, étaient mouillés devant les cabanes de ce hameau entièrement habité par des pêcheurs. Il y avait encore là de charmans sujets de tableaux.

Enfin la rivière, au sortir du petit port de Passig, commença à serpenter au milieu d’une plaine marécageuse couverte de rizières, variée seulement par des bouquets de bambous et animée par des troupeaux de buffles qui se vautraient dans les bourbiers pour se couvrir de cette croûte épaisse de fange qui leur fait, en se séchant au soleil, une cuirasse à l’épreuve des cruelles morsures des moustiques ; puis, les bambous, se resserrant, formèrent au-dessus des eaux comme une voûte gothique, au sortir de laquelle nous nous trouvâmes tout à coup dans le lac, espèce de petite mer intérieure qui a plus de trente lieues de tour et une profondeur de vingt à vingt-cinq pieds dans toute son étendue.

Tout avait été bien jusque-là ; nous pûmes même déjeuner tranquillement, parce que le vent commençait à souffler du côté favorable, et que nos voiles suffirent pour nous pousser rapidement vers une des îles qui se trouvaient sur notre chemin. Mais, comme nous en approchions, le ciel se chargea tout à coup de sombres nuages, les montagnes disparurent sous un grain menaçant qui venait par notre travers avec un cortége peu rassurant d’éclairs et de tonnerre. Bientôt cette noire barrière arriva au-dessus de nos têtes et nous couvrit d’un déluge d’eau ; nos Tagals s’empressèrent de serrer la grande voile, et se résignèrent ensuite à être mouillés des pieds à la tête, tandis que, grace à notre légère toiture en toile, nous étions sur nos coussins parfaitement à l’abri.

Cet orage passé, et en attendant ceux que nous voyions se former à l’horizon, nous fîmes de la voile. De temps en temps il fallait armer les avirons, et notre bon équipage, rafraîchi par la pluie, ramait avec ardeur ; nous passions le long de grandes pêcheries établies au milieu du lac ; nous longions des îles et des îlots couverts d’une verdure impénétrable, asiles des cerfs et des buffles sauvages ; enfin, à cinq heures du soir, nous arrivâmes à la Hala-Hala.

L’ancienne habitation de M. La Géronnière, maintenant occupée par les frères Vidi, est située sur une langue de terre qui s’avance dans le lac ; les murs, proprement blanchis et ornés de balcons, s’élèvent au-dessus de deux rangées de cases qui sont venues se grouper autour de la ferme européenne, formant ainsi un petit village avec sa mo-