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pages du chapitre intitulé le Deuil ont même de certains accens de morose éloquence. Mais cette science amère, ce résidu et comme cette cendre de la vie, que ce père imprudent de sa main mourante sème au cœur de son fils, va petit à petit l’empoisonner. Ce scepticisme corrosif, distillé goutte à goutte dans le vase récent, se retrouvera au fond de tout. Avant de quitter le château paternel, Arthur aimait sa cousine Hélène, pauvre, mais belle, digne et pure, et qui elle-même l’aimait. Il s’enchante insensiblement près d’elle ; tous deux s’entendent sans se le dire ; puis vient l’aveu : ils vont s’épouser. À ce moment une fatale pensée traverse l’ame d’Arthur ; les avis funèbres de son père se réveillent, le germe de méfiance remue en lui : n’est-il pas dupe d’une feinte intéressée ? Est-ce bien lui en effet, ou sa fortune, qu’aime sa cousine Hélène ? Et Arthur tout d’un coup brise ce tendre cœur de jeune fille, sans pitié, avec un sang-froid odieux. Ce n’est là que le premier acte. Arthur vient à Paris ; il connaissait déjà la haute compagnie de Londres, et du premier jour il n’a rien de neuf dans notre monde élégant. Que de piquans et de gracieux portraits d’hommes et de femmes, M. de Cernay, Mme de Pënâfiel ! Celle-ci, adorable figure, femme à la mode aussi calomniée que courtisée, captive bientôt Arthur. Dès la première scène de l’aveu qu’elle-même lui fait (comme déjà avait fait Hélène), sa méfiance, à lui si poli, éclate presque brutale ; cela pourtant se répare ; il est aimé, il croit, il est heureux : les jours de soleil se succèdent. Puis tout d’un coup, au comble du bonheur, cette méfiance incurable, cette peur d’être dupe, revient plus féroce, et il renverse comme d’un coup de pied l’idole. Cette espèce de crime se renouvelle encore deux autres fois, et dans l’une des deux à propos non plus d’un amour de femme, mais d’une amitié d’homme. Les analyses qui précèdent et expliquent ces réveils frénétiques d’égoïsme sont parfaitement déduites et dans une psychologie très déliée, surtout pour les deux premiers cas : « C’était enfin une lutte perpétuelle entre mon cœur qui me disait : Crois, — aime, — espère…, et mon esprit qui me disait : Doute, — méprise, — et crains ! » Je ne puis indiquer en courant tout ce qu’il y a de parfait de manière et de bien saisi dans les observations et les propos de monde jetés à travers[1]. Arthur lui-même, à part ces cruels momens, est accompli de façon et presque charmant de cœur ; et cependant le dirai-je ? comme Vaudrey dans la Vigie, comme les moins bons des héros de l’auteur, il a de l’odieux ; on ne peut le suivre jusqu’au bout

  1. La conversation entre Arthur et M. de Cernay, tome II, page 1 ; la jolie causerie de prima sera, II, 65 ; les jeunes chrétiens de salon, II, 133.