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struit à sa guise et n’a fait au principe historique que de faibles et dédaigneuses concessions. L’influence de la démocratie se proportionne ainsi aux circonstances particulières de chaque pays, et le monde dans ses diverses transformations offre aujourd’hui à l’observateur un sujet tout nouveau et très varié de recherches et d’analyse.

Il ne faut pas s’y tromper : si le mot de démocratie est ancien, les sociétés vraiment démocratiques sont un fait tout moderne ; elles ne datent, à vrai dire, que de 1789, car la démocratie, c’est l’égalité civile, la même loi pour tous, pour tous la même protection et la même sécurité. Dans le monde ancien où la force laissait si peu de place au droit, où l’esclavage et toutes les sortes d’assujettissement de l’homme à l’homme formaient le droit commun des peuples, le principe de l’égalité civile était également méconnu dans la pratique et dans la théorie, dans les lois de l’état et dans les écrits des philosophes. Le privilége régnait sans partage, dans l’école comme au sénat : il n’y avait pas de désaccord entre les faits et les idées.

Ce désaccord n’a commencé que le jour où la loi chrétienne est sortie du sanctuaire pour se substituer au droit ancien dans l’ordre civil, le jour où elle a pris possession des personnes et des choses, des faits et des esprits, et rendu vulgaires les notions du bien et du mal, du juste et de l’injuste ; l’égalité civile n’est qu’une application des principes éternels de la justice. C’est dans ce sens qu’un pontife, de vénérable mémoire, avait dit que tout sectateur sincère et zélé de l’évangile était un démocrate.

L’humanité ne pouvant pas se reposer indéfiniment dans une contradiction, force était à la civilisation chrétienne d’abattre le privilége ou de lui abandonner de nouveau, en s’annihilant elle-même, l’empire du monde.

Ce qui prouve, pour le dire en passant, combien les hommes du XVIIIe siècle, qui par leurs écrits préludaient à la naissance de l’ère nouvelle, méconnaissaient les origines de leur grande mission, lorsque, non contens de flétrir les vices d’un sacerdoce dégénéré pactisant avec le privilége, ils attaquaient le christianisme lui-même, et voulaient, en déchirant l’Évangile, nous enlever le fondement moral de nos libertés.

Dieu en soit loué ! le christianisme est impérissable ; c’est donc au privilége de succomber. C’est là l’histoire présente ou future, mais également certaine, de tous les pays chrétiens. Le travail de régénération peut être, selon les circonstances et les lieux, plus ou moins long et pénible ; le résultat, partiel et incomplet d’abord : car, les voies