Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 23.djvu/914

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
910
REVUE DES DEUX MONDES.

tionne à l’esprit des races imitatrices qui doivent en devenir les dépositaires.

En mettant la race arabe au second rang et la race turque au premier, Méhémet-Ali n’a donc pas suivi seulement l’habitude et la routine, il a eu de bonnes raisons, des raisons philosophiques. Ces raisons, les sait-il telles que nous venons de chercher à les donner ? Non, à Dieu ne plaise ! C’est la supériorité du bon sens sur la philosophie d’agir comme s’il était philosophe et de ne pas l’être, c’est-à-dire de trouver la vérité comme le philosophe, mais de la trouver sans tâtonnement, sans hésitation, sans se demander si c’est bien la vérité. Méhémet-Ali n’a point raisonné sur l’infériorité de la race arabe à l’égard de la race turque ; mais il l’a sentie et il a agi en conséquence. « J’ai fait, disait-il à un voyageur français, j’ai fait en Égypte ce que les Anglais ont fait aux Indes. Leurs soldats indiens sont commandés par des officiers anglais, et vous-mêmes, si vous formez à Alger des régimens arabes, vous n’y placerez que des officiers français. Le Turc est bien plus propre à la guerre et au commandement que l’Arabe ; il se sent fait pour ordonner, et l’Arabe, en sa présence, sent qu’il est fait pour obéir. J’ai vu une fois un rassemblement de trois mille Arabes ; il semblait qu’ils allaient tout détruire. J’ai envoyé un de mes officiers avec trente Turcs, et toute cette multitude s’est dispersée, Dans la guerre de 1832, les Arabes se sont bien battus ; c’est qu’ils suivaient leurs officiers. Tout mon art, c’est de m’attirer des officiers turcs. Heureusement pour moi que le sultan donne de faibles appointemens ; j’en ai donné de plus considérables, et les officiers sont venus chez moi. Il m’a fallu ensuite m’assurer de leur fidélité ; j’en ai trouvé le moyen en les empêchant de devenir propriétaires et de se créer à eux-mêmes une influence personnelle sur la population. »

Méhémet-Ali n’est pas seulement Turc parce qu’il se sert des Turcs pour gouverner ; il est Turc surtout parce qu’il veut être un pacha faisant partie de l’empire turc ; il est Turc par sa soumission à l’égard de la porte ottomane. Cette soumission, aux yeux des Européens, a l’air d’une plaisanterie ; singulière soumission, en effet, que celle d’un homme qui, en deux ans, a fait deux fois la guerre à son souverain, qui l’a vaincu, qui lui a arraché des provinces par la force des armes ! Mais dans les idées de l’Orient, tout cela n’empêche pas que Méhémet ne soit l’esclave du glorieux sultan ; seulement c’est un esclave qui bat son maître. Cela d’ailleurs n’étonne et n’embarrasse nullement les Orientaux, et je me hâte de dire qu’il n’y a tout au plus que