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à leur gré les listes électorales. Chaque ville est en ce moment une république indépendante. On conçoit que ceux qui sont en possession d’un pouvoir aussi exorbitant ne veuillent pas le laisser échapper, et qu’ils fassent de grands efforts pour le retenir ; et cependant il est bien évident que ce pouvoir n’est pas plus conciliable avec un ordre politique quelconque, que le despotisme d’un général victorieux.

Enfin on savait très bien que les sociétés secrètes s’agitaient contre la reine Christine et contre le pouvoir royal. Les sociétés secrètes sont en Espagne ce qu’elles sont partout, révolutionnaires jusqu’à la folie. Ce qu’elles veulent, ce n’est certainement ni l’absolutisme militaire, ni l’absolutisme municipal, mais le bouleversement de la société constituée, l’égalité républicaine, quelque chose comme la terreur de 93 et le comité de salut public. Livré à lui-même, cet esprit ultra-révolutionnaire a très peu de crédit en Espagne ; mais en s’unissant aux élémens de désorganisation qui abondent dans ce pays, il peut faire un moment illusion. C’est ce qu’il a fait, c’est ce qu’il devait faire.

Il n’y a donc rien de nouveau, rien d’inattendu dans le mouvement actuel de l’Espagne ; la conclusion est la même après qu’avant. Les forces coalisées contre la monarchie constitutionnelle peuvent jeter beaucoup de désordre dans un moment donné, car l’Espagne est toujours prête pour le désordre ; elles ne peuvent rien établir de durable : il faudra toujours en revenir à ce qui est. Il n’y a pas la moindre unité dans les trois principes de la révolte. Si, par malheur, ils arrivaient à triompher de la royauté, l’Espagne serait plongée dans le plus effroyable chaos qu’elle ait encore vu ; une lutte terrible s’établirait entre les vainqueurs, et il serait impossible de prévoir le terme des maux que cette lutte entraînerait.

Jamais, quoi qu’elles fassent, les sociétés secrètes ne seront maîtresses de l’Espagne. Leurs doctrines font horreur à cette nation monarchique. Dans chacun de ces mouvemens populaires qui s’accomplissent en Espagne avec une si déplorable facilité, l’esprit révolutionnaire a toujours été le moteur secret ; mais dès qu’il a voulu se montrer au grand jour, il a été réprimé. Le rêve du comité de salut public, souvent essayé, n’a jamais pu se réaliser. Cette fois encore, il vient de montrer son impuissance. Un journal qui avait un titre accommodé à son but, l’Ouragan, a trahi la pensée des meneurs en exposant naïvement un plan de rénovation et de violence anarchique renouvelé de la convention. Le mouvement de dégoût et de répulsion a été si général dans la garde nationale de Madrid, que l’auto-