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de la vieille Espagne. Le véritable esprit municipal et provincial lui est antipathique.

Cela est possible, dira-t-on peut-être, mais d’où vient alors que le mouvement actuel des municipalités ait tous les caractères d’une manifestation nationale ? À cela nous répondrons d’abord qu’il faut être très sobre de ces mots : nation, national, quand il s’agit de l’Espagne. De tous les mots nouveaux importés dans ce pays par l’invasion des idées françaises, le mot de nation est de ceux qu’il comprend le moins. Quand Ferdinand VII reprit l’exercice absolu de l’autorité royale, après les cortès de 1820 qui avaient beaucoup parlé d’institutions nationales, le peuple de Madrid criait en même temps : viva el rey netto ! vive le roi tout court ! et muera la nacion ! meure la nation ! Nous ne donnons pas ce cri étrange pour l’expression définitive des idées en Espagne, mais il peut mettre sur la voie de la vérité.

Ce qu’on appelle, dans la langue politique, la nation, n’apparaît aujourd’hui que très rarement en Espagne. Ce pays est si profondément divisé, ou plutôt il est si indécis, si sceptique en tout ce qui touche la politique, qu’un mouvement franchement national y est encore pour long-temps à peu près impossible. En revanche, rien n’est plus aisé que de s’en donner les apparences ; l’inertie générale y sert merveilleusement. Il ne faut donc pas prendre au pied de la lettre tout ce qui se dit en ce genre ; la langue du pays abonde en mots ironiques pour désigner ce qui paraît être et ce qui n’est pas.

L’importance de la glorieuse révolution du 1er  septembre à Madrid se réduit beaucoup pour quiconque sait ce qu’est en général une émeute espagnole. Il est arrivé mille fois, depuis que la Péninsule est en travail d’une réorganisation politique, qu’une municipalité s’est réunie à l’insu de toute la ville, et qu’elle a rédigé une proclamation portant que l’on cesserait d’obéir au gouvernement. Le public n’est averti de ce qui se passe qu’en voyant afficher la proclamation, et en entendant le coup de tambour qui réunit la milice. Le premier mouvement d’un Espagnol qui est appelé par une autorité quelconque, c’est d’obéir. La milice obéit machinalement, et le journal du lieu célèbre en style pindarique le soulèvement héroïque de la population.

Les citoyens d’une ville espagnole connaissent à peine le gouvernement central ; il ne peut leur répugner beaucoup de se prononcer contre lui. Le pouvoir qu’ils connaissent le plus, parce qu’il