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morale comme aux yeux de la politique, lorsque l’attaque dont on est menacé ne vient pas d’ennemis déclarés, levant hautement un étendard hostile, proclamant le renversement de nos institutions, l’abolition violente de nos lois. C’est alors que les mesures préventives ne sont jamais exorbitantes, c’est alors qu’il faut pouvoir se dire : Je n’ai rien omis de tout ce qui était légalement en mon pouvoir pour prévenir la collision. Car, d’un côté on s’exposerait à frapper l’erreur plus encore que le crime ; de l’autre, une collision sanglante donnerait aux ennemis du gouvernement la chance de voir se jeter dans leurs rangs ces troupes nombreuses de travailleurs qui se sont montrées aujourd’hui complètement étrangères à nos querelles politiques.

C’est ainsi qu’un orage qui aurait pu grossir en attirant à lui d’épais nuages des points les plus opposés de l’horizon, s’est paisiblement dissipé, et nous en avons été quittes pour quelques inquiétudes et quelques précautions. Le gouvernement, et en particulier M. le ministre de l’intérieur et M. le préfet de police, en suivant avec un calme inaltérable une règle de conduite qu’avouaient également la morale et la politique, nous ont épargné de grands malheurs. Ils sont parvenus, pour la première fois, à étouffer dans son germe une émeute imminente, et qui aurait pu être des plus graves.

Aujourd’hui tout le monde est averti : le pays peut compter sur la fermeté, la résolution, la prudence et les moyens du gouvernement, et tous ceux que des intentions hostiles ou de déplorables égaremens jetteraient décidément dans la révolte, ne pourraient plus imputer qu’à eux-mêmes les terribles conséquences de leurs excès.

Après cet épisode, la question étrangère a de nouveau absorbé l’attention publique tout entière. Les sommations faites à Méhémet-Ali, les menaces du commodore Napier et ses captures, le commentaire que les consuls des signataires du traité de Londres ont remis au pacha, les réponses de Méhémet-Ali et de ses lieutenans en Syrie, l’arrivée des forces navales de l’Angleterre sur les côtes de l’Asie et devant Alexandrie, les clauses du traité de Londres qui commencent à transpirer, le voile qui cache encore les évènemens qui se préparent, les accidens qui peuvent s’y mêler, tout devient dans le public un sujet de discussion, une cause d’irritation pour les uns, d’alarmes pour les autres. Les uns craignent que notre impétuosité ne nous jette dans une guerre inopportune, intempestive, sans cause suffisante et proportionnée à la grandeur de l’entreprise. Les autres redoutent au contraire notre amour du repos et de la paix, et s’irritent à la pensée de l’inaction de la France lorsque l’étranger s’arroge de disposer du monde à son gré et de dicter la loi à l’Orient au nom de l’Europe, comme s’il en représentait seul la volonté et la puissance.

Au milieu de ces doutes, dans ce conflit, tous les regards se portent vers le gouvernement, chacun lui demande sa pensée ; tous lui demandent (il est juste de le reconnaître) de sauver à tout prix l’honneur et l’intérêt français ; mais les uns veulent être assurés par ses paroles qu’il n’agira pas à la légère, en téméraire, qu’il ne fera pas bon marché du sang et des trésors de la France ; les autres, qu’il ne se paiera pas de vaines promesses, de méchans