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une charrue traînée par des bœufs fut conduite sur l’emplacement de ses murailles par Pietro Zalaretto de Valmontone, tandis que Menico Franasci suivait en répandant du sel dans les sillons de la ville abandonnée.

Le 18 juillet 1819, le cardinal Hercule Gonsalvi promulguait un décret conçu dans des termes à peu près semblables : « Sa sainteté le pape étant convaincu, par les témoignages les plus dignes de foi, que depuis nombre d’années, et même depuis plusieurs siècles, les bandits qui infestent les provinces du saint-siége sont nés à Sonnino, que récemment les habitans de cette ville ont invité les brigands du royaume de Naples à faire invasion dans les états de l’église, que les bandes de Lenola et de Fondi sont commandées par un habitant de Sonnino ; sachant enfin que ces bandits trouvent un refuge à Sonnino, qu’ils en tirent des alimens, qu’ils s’y rassemblent pour délibérer sur ce qu’ils ont à faire ; considérant que l’expérience du passé, jointe à celle du moment actuel, prouve qu’aussi long-temps que ce nid de voleurs existera, il sera impossible de mettre fin à leurs déprédations, etc. ; sa sainteté ordonne que les habitans de Sonnino soient pourvus d’habitations autre part, que leur ville soit rasée et son territoire partagé entre celles des villes voisines qui n’ont pas secondé les brigands, permettant aux propriétaires qui émigreraient et qui ne pourraient se fixer près de leurs possessions, de céder leur terrain à la chambre apostolique, qui leur paiera une annuité perpétuelle suivant l’évaluation faite par des juges compétens. »

Toute l’histoire du brigandage est comprise en quelque sorte dans ces deux édits. De 1557 à 1819, c’est-à-dire pendant l’espace de près de trois siècles, le brigandage s’est continué presque sans interruption dans les montagnes qui s’étendent d’Aquila à Terracine, entre le Tibre et le Garagliano. La civilisation dans ces provinces, couvertes de bois épais, coupées de vallées profondes, et qui, de temps immémorial, ont servi de refuge aux bandits, est restée la même. C’est là que Spartacus et ses esclaves s’étaient retranchés ; c’est là que Marco Sciarra et ses bandes, qui mirent plus d’une fois Rome en danger, avaient leur quartier-général. Les mœurs des habitans de ces montagnes sont encore aujourd’hui ce qu’elles étaient vers 1550, et les mêmes crimes ont amené la même répression. Mais y a-t-il au monde quelque chose de plus étrange que cette nécessité où se trouve un pape, le chef de la religion, de faire raser une ville de ses états pour en corriger les habitans ? Le châtiment, comme le crime, appartient à une époque de barbarie.