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THOMAS CARLYLE.

le mérite particulier d’analyser finement les individus de la révolution qui sont ou incomplets, ou faux, ou risibles, et de juger d’ensemble et dignement la masse des faits révolutionnaires, qui sont pleins de grandeur et d’avenir.

Le petit nombre d’hommes que la singularité de quelques circonstances personnelles aura placés, comme Carlyle, de niveau avec le temps futur, au-delà des opinions contemporaines, des folies, des sottises, des ambitions et des prétentions contemporaines, recevront le livre de Carlyle avec enthousiasme. — Quoi ! parce qu’il n’a pas d’opinion, demandez-vous ? — Non, non ; mais parce qu’il a une opinion plus haute, plus vraie, plus civilisatrice, moins personnellement intéressée, plus noble et plus populaire que les autres. Cette opinion la voici : nous formulons nettement la théorie qu’il a laissée dans les nuages.


Carlyle affirme que nous « ne sommes pas aujourd’hui, » que nous n’existons pas, que la société tout entière de l’Europe moderne constitue un vaste compromis entre le passé et l’avenir ; que nous ne sommes ni organiques, ni doués d’une énergie et d’un ordre réels. Il prétend que l’aristocratie et la monarchie n’ont pas fait place à la démocratie organisée, mais seulement à la charlatanocratie ; — jugez-en. —


« Les institutions humaines, dit-il, sont destinées à subir des transformations inévitables. Elles ont une époque de préparation plus ou moins longue ; — puis une époque de réalité, d’existence, celle où l’on croit en elles ; — enfin une époque de destruction, lente d’abord, et plus tard violente et bruyante. Il serait absurde de maudire leur destruction. Elles se détruisent comme le cadavre se dissout. Elles sont mensonge et apparence quand l’ame sociale les a quittées. C’était le fait de l’Europe, et spécialement de la France en 1789, quand, cette mort, ce mensonge, ce faux, venant à se faire sentir aux Français, ils descendirent, avec une effroyable véhémence, vers la révolution qui fut le cataclysme, l’expression foudroyante de la transformation sociale. Non-seulement l’Europe n’en est pas sortie, mais la France elle-même s’y débat encore ; toutes les autres institutions du monde moderne y passeront. Maudire les révolutions ou les bénir, c’est donc chose niaise. Il est curieux de les étudier, malheureux de les suivre quand elles ont laissé après elles la boue et la pluie,